La société angkorienne

Jérôme ROUER, janv, mai 97.

En khmer moderne, le même mot (varnak) signifie "caste" et "classe sociale".


La principale et quasi unique source d'informations sur la société angkorienne est le mémoire de Tchéou TA-KOUAN, appellé aussi Zhou Daguan.
C'était l'un des accompagnateurs d'une ambassade chinoise de la dynastie des Yuan. Il passa près d'une année au Cambodge et visita Angkor en 1296, fin de la période historiquement connue d'Angkor.
Son journal, intitulé Mémoires sur les coutumes du Cambodge, attendra 1902 pour être correctement traduit (par Paul Pelliot).


Sous influence de culture indienne, Angkor était divisé en castes, mais à la khmère, c'est à dire avec une marge de tolérance importante quant aux devoirs de chacune : ainsi les brahmanes, position héréditaire chez les Khmers, ne se souciaient peu des principes de pureté et de célibat de leurs lointains modèles... Il n'existait pas "d'intouchables" et les hôpitaux étaient ouverts à tous.

Le pouvoir du roi, représentant des dieux sur terre, était absolu. C'était la monarchie autocrate de droit divin dans tous ses excès au point que, après la prise d'Angkor, la royauté siamoise dont le comportement était proche de celle d'Angkor, changea radicalement, pour un temps seulement, son approche du peuple. Il lui fallait éviter de se retrouver comme les rois d'Angkor complètement dissociés et abandonnés de sa base.

L'injustice sociale fut une des causes majeures du déclin d'Angkor. L'aristocratie féodale et religieuse qui était à l'origine de cette civilisation, s'était pervertie dans sa soif d'argent et ne sût plus justifier ses profits par les services rendus. Les fonctionnaires étaient corrompus à l'extrême, les brahmanes jouissaient de privilèges exorbitants... Seul le petit peuple trinquait.

Après Angkor, le principe indien des castes s'est transformé peu à peu en principe de hiérarchie sociale, fondement de l'ordre. Le Khmer en est resté très respectueux et soumis aux principes de la hiérarchie.


Les stèles de fondation des hôpitaux de Jayavarman VII indiquent précisément que les malades des "quatre castes" pouvaient être soignés.
Tcheou Ta Kouan, confirme que la société angkorienne était divisée en quatre grands groupes qu'il décrit :

Les membres de la maison royale et les guerriers (kshatriya)

Jouissant de tous les privilèges (exemption d'impôts, dispense de corvées) ils détenaient toute la richesse.
Tous les rois angkoriens étaient des guerriers menant personnellement leurs troupes. Jusqu'en 1327, au moins, leur puissance dépendait des brahmanes qui étaient leurs maîtres spirituels et leurs bras séculiers.

Les brahmanes et autres ecclésiastiques

Divisés en trois groupes:
- Les brahmanes qui portaient un ruban blanc autour du cou,
- Les moines bouddhistes à la tête rasée, vêtus de jaune et marchant pieds nus,
- Les ascètes civaïstes qui portaient des turbans blancs ou rouges.

Les hommes libres ou Neak chea

Petits fonctionnaires, marchands ou artisans qui semblaient heureux...
Tcheou Ta Kouan affirme que le commerce était aux mains des femmes. "Ils n'ont pas de boutiques permanentes mais se servent d'une natte qu'ils étalent par terre... On paye au mandarin la location de la place.... On paye en riz, céréales, objets chinois; vient ensuite le drap; dans les grandes affaires, on se sert d'or et d'argent..."

Les esclaves

Paysans ou artisans, c'étaient de simples marchandises qui n'avaient ni droits ni liberté. La plupart étaient des prises de guerre. Ce sont eux qui ont construit et servaient les basses besognes des temples.
A titre anecdotique, on estime que le seul temple d'Angkor Vat exigea le transport de plus de 3 000 tonnes de pierres.
Comme serviteurs on achète des sauvages qui font ce service. Ceux qui en ont beaucoup en ont plus de cent. Ceux qui en ont peu en ont de dix à vingt... Les sauvages sont des hommes des solitudes montagneuses. Ils forment une race à part... Ils ne peuvent vivre que sous l'étage, pour le service ils s'agenouillent... (Tcheou Ta Kouan)


En 1875, d'après Aymonnier, il restait au Cambodge deux castes héréditaires :
- Celle des BAKOUS, descendants de la caste des brahmanes (on en a retrouvé deux en 1991 !) et dont le rôle principal était de garder l'épée sacrée, symbole de la royauté (disparue dans les années 1972) et de réciter des formules, d'origine sanscrites et inintelligibles pour les cambodgiens, pendant les cérémonies royales.
- Celle des Préa Vongsa, ou descendants de familles royales.