La littérature et le Cambodge...

Extrait de "LesPeuples de la péninsule indochinoise" de G.COEDES


Tout d'abord, dans un précédent chapitre, G.COEDES signale que les textes épigraphiques des temps angkoriens donnent une idée de l'étendue de la culture sanscrite de la caste dirigeante de l'époque : brahmanes et famille royale... et du fossé qui devait les séparer du peuple...

En fait de textes littéraires, les XVII° et XVIII° siècles ont laissé sur les murs d'Angkor Vat des inscriptions relatant des cérémonies accomplies dans l'ancien temple vichnouïte devenu sanctuaire bouddhique : elles sont animées d'une certaine ferveur religieuse, et l'une d'elles, datée de 1702, est le plus ancien poème en cambodgien dont la date soit sûrement attestée. Tout ce qui subsiste de la littérature ancienne d'inspiration indienne, ce sont des fragments de cosmogonie connus sous le nom ambitieux de Triaveda (Traipét), et le Ramakirti (Ream Ker), version scénique du Ramayana, de date imprécise, réduite aux épisodes les plus fréquemment représentés. Toute la littérature moderne du Cambodge est pour ainsi dire étrangère à l'ancienne civilisation du pays. Le bouddhisme singhalais, peu favorable à l'art et à la littérature, a exercé sur ce qui subsistait de la civilisation angkorienne une action dissolvante.

La langue poétique, assez différente de la prose parlée ou écrite, est farcie de mots archaïques et d'emprunts au sanskrit et au pâli. Le résultat est que les poèmes classiques, de date et d'auteurs généralement inconnus, sont souvent difficiles à comprendre pour les Cambodgiens eux-mêmes.
Les plus connus sont des recueils de stances gnomiques dont plusieurs sont peut-être assez anciens, tels que Chbap Kram ou code de civilité, Chbap Pros " morale des garçons ", Chbap Srei "morale des filles " (attribuée au roi Ang Duong), Ker Kal, Kon Chau, etc. Nourris depuis leur enfance de ces formules qui mêlent les préceptes du bouddhisme aux prescriptions du formalisme traditionnel, les Cambodgiens y trouvent des règles de conduite pour les diverses circonstances de la vie.

La littérature en prose se compose, pour une part importante, de textes religieux, traductions de textes canoniques, traités d'exégèse, dans lesquels l'exposé des mérites acquis par les fidèles en conséquence de leurs bonnes oeuvres tient une grande place. Les vies antérieures du Buddha, surtout les dix dernières, ont fait l'objet d'adaptations jouissant d'une grande popularité, surtout le Vessantarajataka. Comme au Siam et au Laos, les Cinquante Jataka apocryphes ont fourni le sujet de plusieurs romans.

C'est dans les contes et les apologues qu'on trouve le reflet le plus fidèle du langage parlé en même temps que de l'humour populaire. Leur étude permet d'utiles comparaisons avec le folklore des pays voisins, ainsi qu'avec les recueils indiens du Pancatantra, et des Contes du vampire; mais la figure de Thmenh Chei (déformation de Dhananjaya, nom sous lequel il est connu au Siam et au Laos), sorte d'émule de Till l'Espiègle, et aussi celles du Lièvre Juge et des Quatre Chauves sont très représentatives de l'esprit du peuple cambodgien.

La masse de la littérature versifiée est constituée par les romans inspirés des légendes du cycle de Râma ou des Cinquante Jàtaka.

Le théâtre, étroitement apparenté au roman poétique, puise à la même source; il a été très fortement influencé par le théâtre siamois.

En fait, c'est la chanson qui est le genre poétique dans lequel l'âme cambodgienne s'exprime avec le plus de spontanéité.