Auguste Jean-Marie Pavie
explorateur et conquérant pacifique

"Je connus la joie d'être aimé des peuples chez qui je passai"

SOURCES:
Notice de M. Malleret, Directeur de l'Ecole Française d'Extrême-orient.
Extrait de Introduction à la connaissance du Laos de Henri DEYDIER.
"Au Royaume du Million d'Eléphants, Exploration du Laos et du Tonkin 1887-1895" d'Auguste Pavie.

Jérôme ROUER, juin 97.


Note de Cambodge et Laos Contact :
Le nom de Pavie restera a jamais lié à celui du Laos. Il fut l'un des hommes qui ont le mieux connu, aimé et servi ce pays.


" Il naquit à Dinan le 31 mai 1847. On ne connaît encore que bien peu de choses de son enfance et de ses études. Il entre dans la vie à dix-sept ans comme engagé volontaire au 62° de ligne. Sergent, trois ans plus tard il passe dans l'Infanterie de Marine et embarque à Toulon pour la Cochinchine où mis en congé quelques mois plus tard, il entre comme agent stagiaire dans le cadre auxiliaire des Télégraphes. Rentré volontairement à son corps de l'Infanterie de Marine, à la nouvelle de la guerre de 1870, il regagnait aussitôt la France et ne fut rendu à la vie civile qu'en juin 1871.
De retour en Cochinchine il fut affecté à Long-xuyên, puis à Kampot où il se trouva investi des fonctions de représentant local du Protectorat.

Pavie accomplit plusieurs voyages dans cet immense territoire que forment les régions méridionales du Cambodge et publia sa relation dans les Excursions et Reconnaissances, série fondée par le gouverneur Le Myre de Vilers, et qui demeure l'une des sources les plus précieuses d'information sur le pays.

Rentré dans la métropole après dix-sept ans d'Indochine, dont un séjour ininterrompu de onze années au Cambodge, Pavie emmène avec lui un groupe de jeunes gens qui formèrent à Paris une Ecole cambodgienne, devenue ensuite l'Ecole Coloniale. A peine était-il arrivé qu'il était pressenti par les Ministres de la Marine et des Postes pour une mission d'exploration au Laos avec le titre de vice-consul. "A ce moment de nos difficultés avec la Chine et le Tonkin, il était nécessaire, écrit-il dans un de ses ouvrages, d'être renseigné sur les régions voisines de nos premiers postes où les Pavillons Noirs étaient établis, où le Siam envoyait des soldats, installait des agents. Il était indispensable également de rechercher les voies de communications unissant à l'Annam et au Tonkin, les pays dont nous revendiquions la possession. "
Il fut nommé le 11 novembre 1885, vice-consul de 2° classe avec poste d'attache à Luang Prabang.

Pour comprendre l'importance du rôle qu'allait tenir Pavie dans ces régions il convient de se représenter ce qu'étaient alors les compétitions qui opposaient les puissances, aux confins de la Chine et de la Haute-Birmanie. La position du Siam était devenue difficile, entre l'expansion anglaise et celle de la France. Borné dans ses ambitions du côté birman, il s'était heurté sur le Mékong et le Bassac à l'expansion annamite qui s'exerçait comme la sienne aux dépens du Cambodge et du Laos. Le Siam ne pouvait entrer en conflit avec la France qui venait de se substituer à la Cour de Hué, dans l'exercice de droits de souveraineté. Il reporta donc ses ambitions vers le Nord avec l'espoir de devancer la France, vivement encouragé du reste, par l'Angleterre attentive à le détourner de la Haute-Birmanie... Le roi de Siam prononça un discours où il revendiquait le Trân-Ninh, les cantons méo de la Rivière Noire y compris des centres comme Son-la et Lai-châu. L'alarme s'empara de nos représentants et Pavie qui se trouvait à Bangkok où il attendait depuis six mois ses passeports précipita son départ vers la principauté de Luang Prabang...

Dès son arrivée il est pris en tutelle par le commissaire siamois qui multiplie les précautions pour l'éloigner du roi, des bonzes, des fonctionnaires et l'isoler des populations. Mais sa courtoisie et la simplicité de ses manières ne tardent pas à lui gagner la sympathie des habitants de ce pays... Il part vers le Haut-Tonkin.

Mais à peine a-t-il parcouru une partie de la route qu'il assiste à l'exode des populations du haut-pays, alarmées par l'annonce du retour offensif des pirates chinois. Menacé d'être abandonné par ses bateliers il est contraint de regagner Luang Prabang où il apprend à sa profonde surprise que les troupes siamoises ont abandonné la ville, emmenant tous les otages à Bangkok. Il demeure seul, en tête à tête avec un officier siamois, qui le presse de fuir à son retour. La ville n'a ni remparts, ni troupes aguerries et Pavie s'obstine à rester, offrant d'organiser la résistance pour le compte du vieux roi.
Cependant l'inévitable s'accomplit. La capitale est envahie par les bandes de Deovan-Tri, chef des Pavillons Noirs. (lire texte de Pavie)
Luang Prabang est mise à sac et incendiée. Kéo, l'un des Cambodgiens du Consul français, arrache le vieux roi à une mort certaine et au milieu d'une panique indescriptible, Pavie rassemble les membres de la famille royale, recueille les blessés, emmène le vieux prince sur le Mékong dans une course vertigineuse vers Paklai où tous retrouvent la sécurité.

Cette attitude de ferme et courageuse décision conquiert à Pavie tous les coeurs. Les derniers fuyards apportent la nouvelle que les pagodes de Luang Prabang sont indemnes. Or, parmi les blessés se trouve le supérieur du monastère de Vat Mai que Pavie, improvisé chirurgien, soigne quotidiennement. Le moine envoie son frère à la capitale pour ramener les chroniques du royaume. Elles sont mises à la disposition de l'explorateur et Pavie acquiert la certitude que les prétentions siamoises sur les cantons de la Rivière Noire ne s'appuient sur aucun fondement historique.

Le vieux roi pénétré de gratitude explique à Pavie que son royaume n'est pas une conquête du Siam, mais que volontairement il s'est placé sous la protection étrangère pour assurer sa défense. " Maintenant, ajoute-t-il, par son ingérence notre ruine est complète. Si mon fils consent nous nous offrirons en don à la France, sûrs qu'elle nous gardera des malheurs futurs. " ...

De retour en France Pavie put exposer au Quai d'Orsay, sous tous ses aspects le problème des frontières occidentales de l'Indochine. Par l'exploration directe, comme par l'étude des chroniques, il était parvenu à la conviction que les prétentions siamoises ne trouvaient de motif valable que dans un opiniâtre dessein d'expansion. Ni les considérations géographiques ou économiques, ni l'ethnographie n'y étaient alors pour rien. Pas davantage n'étaient à retenir les questions de race, et Pavie rappelait opportunément tout ce que le Siam englobait de populations authentiquement cambodgiennes, tout ce que la Chine et la Birmanie enfermaient de Thai que le Siam ne songeait pas à revendiquer. L'explorateur apportait à la discussion, outre sa profonde expérience du pays, une conviction formée au contact des manuscrits des pagodes, dans les méditations de l'homme d'études.

L'opinion du savant comptait alors de quelque poids dans la pensée des diplomates. Sans vouloir contrister personne, il est permis de regretter que cette méthode n'ait pas été depuis invariablement suivie...

Le traité du 3 octobre 1893 stipulait que le cours du Mékong constituerait la frontière entre le Siam et les territoires de l'Indochine, Cet acte nous donnait satisfaction dans le principe, mais du fait de sa rédaction hâtive, comportait de nombreuses difficultés d'interprétation. Malgré les avertissements de Pavie, il méconnaissait les droits du Laos sur la rive droite du fleuve et coupait en deux de la manière la plus arbitraire le royaume de Luang Prabang et sa capitale.

Du côté anglais une commission de délimitation apparut nécessaire. Pavie fut appelé à présider la délégation française et nommé Commissaire général au Laos pour organiser les nouveaux territoires et veillerà l'exécution du traité. Il repartit encore pour Luang Prabang où il s'attacha à maintenir tout ce qui répondait aux habitudes et aux moeurs des populations en restituant aux princes et aux fonctionnaires laotiens toutes leurs prérogatives traditionnelles.
Rappelé à Paris, pour éclairer le Département sur les difficultés d'application du traité, dont le règlement ne devait aboutir qu'en 1907, il ne revint à Bangkok en 1896 que pour un bref séjour. Ayant pris sa retraite en 1905, il consacra le reste de son existence à rédiger ses souvenirs et à publier les dix volumes et l'atlas de ses missions en Indochine avant de s'éteindre en Bretagne le 7 mai 1925. "