Sources et pratiques du bouddhisme khmer

Jérôme ROUER, nov 96

Source : Le Figuier à Cinq Branches, de François BIZOT, E.F.E.O.
............. Notes de l'International Network of Engaged Buddhists, Thaïlande


1- Sources et historique du Bouddhisme khmer

(Lire aussi " Les origines du Bouddhisme au Cambodge")

Déjà avant les Khmers rouges il était difficile de retrouver les documents religieux.
Comme l'écrit pudiquement François BIZOT, "l'accès aux documents ne se faisait pas sans mal... mais finalement le peu d'oeuvres écrites retrouvées fut un soutien incomparable à ses enquêtes dans les villages et les pagodes". La destruction des livres sacrés est "une perte irremplaçable, aussi bien pour l'histoire et la connaissance du Cambodge que pour l'intelligence des mystères que se posent les hommes et du génie qu'ils emploient à les résoudre".

François Bizot avait découvert 455 manuscrits en 1975. Ce sont les ultimes témoins manuscrits des sources du Bouddhisme Khmer.

La tradition scientifique du début du Protectorat (dès 1860) attachait le bouddhisme khmer à l 'Eglise de CEYLAN. Mais à cette époque le Bouddhisme était encore pour l'Occident une idolâtrie bien confuse...
Le bien fondé du rattachement des khmers à l'église de Ceylan ne coule pas de source, loin s'en faut. Certes, les valeurs bouddhistes khmères se retrouvent dans le Tipitaka mais il y aurait plus cousinage que parenté directe.

En s'installant au Cambodge le Protectorat français trouve un clergé partagé en deux ordres :
- La branche traditionnelle des Mahanikay (ou la Grande Communauté),
- La nouvelle secte des Dhammayutikanikay, héritée du Siam, où elle est l'église officielle.
(Dhamma = ce qui est stable, l'enseignement, la Loi Canon) (nom actuellement utilisé : Tommayut)

La branche Dhammayutikanikay/Tommayut était largement favorisée par la famille royale khmère pour la bonne raison que celle-ci était unie depuis plusieurs générations à la cour de Bangkok : les institutions thaïes, vêtement, cérémonial, rites et religion, et même la langue thaïe étaient de règle dans la maison royale khmère. Il était donc normal que la religion thaï devienne religion d'Etat.

Au cours du temps le pays religieux se divisa en deux blocs : les villes qui pratiquaient selon le Dhammayutikanikay, les campagnes qui pratiquaient un Bouddhisme sans représentativité et laissé à lui-même.

Grandes lignes de la réforme Dhammayutikanikay ou Thommayut ( mot actuellement utilisé )

Depuis le sac de la capitale siamoise par les Birmans (1767) le clergé siamois était des plus dépravés : des clans de bonzes, armés, rivalisaient en luttes intestines sans fin ; il prêchent en chantant, se font payer, s'amusent avec les filles et boivent de l'alcool.
En 1779 le Bouddha d'émeraude est ramené du Laos ; il devient le symbole d'une nouvelle dynastie qui tente de remettre de l'ordre dans le clergé.

Le roi thaï MONGKUT se plonge dans les livres sacrés, le TIPITAKA, et fonde, en 1854, l'ordre Dhammayutika sur la base de l'orthodoxie cingalaise. Il envoie copie du TIPITAKA au roi du Cambodge, ANG DUONG qui l'avait demandée solennellement. (Le TIPIKATA des anciens Mahanikay au Cambodge référait uniquement à un concept idéologique et non à un texte...)

En 1855 le roi NORODOM succède à ANG DUONG, envoie une ambassade de cinq religieux à Ceylan qui ramènent en 1887 de précieuses reliques et une bouture de figuier : l'ordre Dhammayutika est officiellement fondé au Cambodge et va coexister, très petitement, avec l'ancien ordre, toujours très populaire des Mahanikay.

Statistiques de 1968
En 1968Nb de pagodesNb de bonzes
Mahanikay 3 20162 583
Dhammayutika 124 1 406

Mais les Dhammayutika vont créer des pagodes et monastères modèles et transformer le pays, malgré une opposition populaire violente. Il y eut des rixes célèbres entre les moines des deux pagodes de Vat Botoum [Dhammayutika] et de Vat Unaloum [Mahanikay] à Phnom Penh). Les Khmers réagissent autant à l'intrusion siamoise qu'aux idées religieuses de cet ordre.

L'action du Protectorat

Le gouvernement français du Protectorat prend position avec quelques confusions théologiques, pour finalement créer officiellement une nouvelle faction à partir de l'ancien clergé traditionnel. C'est le Ministère de l'Intérieur et des Cultes qui nomme les chefs de pagodes...Cette faction va progressivement éclipser les vieilles coutumes en se présentant comme gardienne des traditions; des ordonnances royales successives interdisent formellement aux bonzes la plupart des petits et gros avantages matériels qu'ils s'étaient attribués.... contre un quasi-statut de fonctionnaire.
Dès 1920 cette remise en ordre morale provoque un afflux d'ordinations. Désormais les affaires religieuses sont traitées et ordonnées en dépit des vieux monastères encore tenaces dont l'influence s'éteindra avec le temps.
C'est à cette nouvelle force que les Français vont confier le soin de séculariser l'enseignement religieux, dévoilant ainsi leur véritable but : créer un système permettant de réformer l'enseignement traditionnel.
Ils traduisent les textes du canon pâli en khmer (1929, 110 volumes de près de 500 pages), créent des écoles de pâli, dont les diplômés reçoivent le titre d'"Achar", l'Institut Indigène d'Etude du Bouddhisme du Petit Véhicule (1930), les "Ecoles d'Application des Bonzes" (1933) dont le but est "de mettre à disposition du clergé des méthodes pratiques de pédagogie susceptibles de permettre la rénovation de son enseignement". Ces dernières permettront de faire l'économie de nombreuses écoles primaires en laissant le soin de la formation des enfants aux pagodes.

Petit à petit les moines Mahanikay, mal vus des populations urbaines qui rend leur traditionalisme responsable des retards économiques du pays, imitent les Dhammayutika jusque dans leur habillement. Dans la rue, l'épaule droite découverte sous la robe safran devient la marque du paysan arriéré. (Les Mahanikay portent une robe jaune clair découvrant l'épaule droite, une courroie permettant de porter la sébile en bandoulière. Les Dhammayutika portent une robe plus rouge et mendient à deux mains)

Les années 1950-1975

A l'aube de la guerre civile (1970), le Cambodge comptait plus de 65 000 moines pour un pays de 7 millions d'habitants. A l'arrivée de la saison des pluies, saison des retraites, les gens en robe dépassait les 100 000. Le Bouddhisme prospérait, même si rites et cérémonies semblaient particulièrement anachroniques aux populations urbaines occidentalisées.

A partir de 1970 le Bouddhisme, gardien des valeurs culturelles khmères, fut écrasé par le désordre moral des dirigeants successifs du pays : attrait de l'occident, corruption et guerre civile, bombardements et communisme n'étaient pas compatibles avec la morale traditionnelle...

les Khmers Rouges (1975-1979) transformèrent ce déclin en extinction totale : Près de 1 900 pagodes furent rasées, les autres servirent au mieux de prison, au pire de porcheries. Les moines étaient définis comme des parasites qui mangeaient le riz du peuple et n'eurent d'autres choix que d'être exécutés sur le champ ou tenter de survivre en subissant le sort commun du peuple ancien : travaux forcés sans nourriture suffisante et sans la possibilité de se nourrir d'insectes ou de grenouilles.

La Conférence Bouddhique khmère de 1982 estima à 60 000 le nombre de moines massacrés par Pol Pot ! De plus textes et objets sacrés furent presque tous détruits.

A partir des années 1980... Le Bouddhisme administratif !

Officiellement le Bouddhisme réapparut au Cambodge le 18 septembre 1979 avec l'ordination de sept moines khmers par une délégation de Bouddhistes khmer-krom du Vietnam.

La résurrection fut lente car le gouvernement de la République Populaire du Kampuchéa mit un certains nombres de verrous administratifs destinés à s'assurer un total contrôle de la religion.
Les anciens ordres Mahanikay et Dhammayutika furent abolis et remplacés par un ordre unique et "national". Le système hiérarchique du clergé fut lui aussi totalement remaniée : le Sangharaja, ou patriarche suprême fut remplacé par un Protean ou Président, avec des Sous-Présidents pour chaque province et des Sous-Sous Présidents pour chaque village. L'ancien Achar s'appelait désormais Camarade Président de la Pagode....

En Juillet 1988 la radio officielle diffusa les premières émissions religieuses depuis 18 ans.

En janvier 1989 le Premier Ministre, Hun Sen, fit des excuses publiques pour les erreurs passées de son gouvernement quant à la religion et en avril l'Assemblée Nationale amenda la Constitution pour restaurer le Bouddhisme comme religion d'état.


2- Pratiques du bouddhisme khmer

Une des expressions les plus frappantes du bouddhisme khmer est le respect donné aux parents et aux défunts : honorer ses père et mère, accroître leurs mérites, transférer des mérites aux défunts sont des préoccupations permanentes.
Les cérémonies de funérailles et d'incinération ont une très grande importance.

Les moines ne portent pas de toque monastique,

Ils ne mangent jamais passé midi,

Ils croient que Bouddha se réincarnera en tortue.

Cérémonie du de l'entrée dans le Vossa (la saison des pluies) : Les retraites monastisques doivent se faire pendant la saison des pluies. Au cours de cette longue période, les moines sont confinés dans la pagode et ne peuvent pas faire la manche comme pendant la saison sèche ( Une explication donnée par un Khmer est que l'habillement des moines ne leur permet pas de sortir sous la pluie sans être indécents )