Cette danse est interprétée dans les provinces situées
à l'ouest du Cambodge et autour du Tonlé Sap (Pursat,
Battambang, Siem Reap) à l'occasion du Nouvel An khmer.
Ce rite de passage a été le mieux conservé
au sein de certains groupes minoritaires du Cambodge "angkorien"
(Samré, Pear...) à proportion de leur isolement
ultérieur.
Selon la province ou le village où elle est exécutée,
de nombreuses variante existent. La description sommaire qui suit
n'est qu'une idée de ce que peut être la danse du
Trott. Elle implique un nombre variable protagonistes qui déambulent
dans les villages au moment du Nouvel An khmer.
Le ou les premiers portent le Kancha, hochet géant que
l'on frappe sur le sol pour faire tinter ses grelots qui se trouvent
à son sommet et rythmer leur danse mal assurée et
leur chant très lent.
Un autre danseur porte un autre bâton courbé (souvent
une nervure de cocotier) symbolisant le soc d'une charrette au
bout peut être placé un grelot ou une plume de paon.
Ce danseur est chargé de faire la quête, les dons
étant déposés dans un sac relié au
bâton.
Deux personnage miment les boeufs sauvages qui se livrent à
une joute de la saison des amours.
Les derniers sont le ou les chasseurs et la proie, le cerf qui
se trémousse et charge parfois les autres danseurs.
On peut également y trouver des paons, des fées
aux ongles très longs dont les mouvements s'accordent à
la danse classique royale et enfin, un homme des bois au visage
noirci et au turban chargé de fleurs et de feuillages,
sorte de divinité de la nature qui guide les chasseurs
Il nous paraît intéressant de nous arrêter tout particulièrement sur les significations profondes de la danse du Trott et qui correspondent à celles de la plupart des autres danses folkloriques du Cambodge, même si acteurs et spectateurs n'en sont pas toujours conscients.
Ce ballet ambulant fait partie des rites caractérisant
le Nouvel An de l'Asie du Sud-Est indianisée.
Au seuil de la nouvelle année, au moment de la re-naissance
de la société dans son ensemble, il convient que
tous les hommes faisant partie de cette société
soient à l'unisson afin que les structures sociales et
les hiérarchies, abolies pour un certain laps de temps,
soient rétablies, rénovées, renforcées,
tout comme l'année nouvelle elle-même. C'est ainsi
que la troupe peut se permettre de railler ouvertement quiconque
et de tout remettre en cause jusqu'à railler des hommes
du culte de manière grivoise.
Le Trot peut ainsi se définir comme un rite de passage destiné à assurer la jonction entre l'ancienne et la nouvelle année et cela par une répétition et une réanimation des symboles fondateurs ce qui lui confère un caractère "dangereux", mais également sacré. Les danseurs, déguisés et/ou masqués incarnent temporairement mais réellement des rôles bienfaisants ou maléfiques, les forces du bien l'emportant toujours finalement sur celles du mal.
Le passage des protagonistes du Trott à la pagode où les moines les consacrent et les désacralisent, prouve qu'il ne s'agit pas d'un rite ordinaire mais que tous ces consacrés sont réellement investis de la personnalité des génies et des divinités qu'ils représentent et animent spontanément.
On lui attribue ainsi un triple rôle cathartique de remue-ménage social, d'abolition du passé et de redémarrage de l'ordre nouveau.
Le thème de la fécondité est également
omniprésent dans la danse du Trott : époque de renouveau
du Nouvel An, joute des boeufs, personnages androgynes, symbole
solaire des paons, sacrifice du cerf propre à apporter
la pluie...
Tout d'abord, on le danse au cours de la période transitoire
du Nouvel An, à la fin de la saison sèche afin que
la pluie revienne et que l'on puisse commencer un nouveau cycle
agraire.
Cette période est donc un intermède entre la fin
de la récolte et le retour aux labours mis à profit
pour opérer une régénération de la
société : c'est l'époque des mariages et
des jeux et danses de toutes sortes opposants jeunes hommes et
jeunes filles qui peuvent lier connaissance à loisir sous
le regard approbateur de leur aînés.
Traditionnellement, le Trott n'est interprété que par des hommes dont un certain nombre sont ainsi travestis en danseuses divines. Ce rappel de l'androgynisme nous ramène aux origines de la création de l'homme et du monde; tous les mythes font en effet naître l'espèce humaine à partir de jumeaux primordiaux ou d'un androïde. Ce thème est très présent dans la civilisation amère dans laquelle le symbole du pouvoir royal a longtemps été le linga, sexe de Civa, qui repose dans la yoni, vulve de son épouse Uma.
Ce thème se retrouve dans la danse de Sneng Banteng où des boeufs sauvages en rut se livrent à des joutes dont l'enjeu féminin est très clair.
Les paons constituent le symbole du soleil par excellence. Alors
que les buffles se battent, participant ainsi aux moments sombres
de l'année révolue, les paons se comportent pacifiquement
et, identifiés au soleil revigorant, symbolisent l'année
qui va naître.
Le cerf est le seul des animaux en scène mis à mort
par le ou les chasseurs.
Dans la société kmère, le cerf est un animal
craint; quand il pénètre dans un village, on procède
à diverses cérémonies pour écarter
les maux que cette intrusion pourrait causer. Animal assimilé
au feu et à la sécheresse, il convient de le tuer
pour permettre à la pluie bienfaitrice de tomber.
Cependant, il constitue surtout un sacrifice parachavant l'ensemble
structuré des rites effectués lors du Trott et qui
visent à assurer la perpétuation de la société
dans son ensemble.