DU PHNOM KULEN aux QUATRE-BRAS


Jérôme ROUER, 12/12/96
SOURCES PRINCIPALES : Bibliographie de l'UNESCO Phnom Penh.

1- Le Phnom Kulen
2- Le lac Tonlé Sap :

Géologie Bilan hydrologique Climat Historique et Habitat Poisson et pêche Flore, faune et chasse Nuisances et menaces.

3- Les Quatre-bras


1- Le Phnom Kulen

Le Phnom Kulen est un massif qui culmine à 498 mètres, situé au nord ouest immédiat du site archéologique d'Angkor.Il abrite les sources des rivières ( Stung en Khmer ) qui baignent le site : Puok, Siemreap et Roluos.
C'est de son sommet, site sacré depuis des temps anciens, que le fondateur de la civilisation angkorienne, Jayavarman II, a déclaré que " Le pays de Kampuchéa était désormais indépendant de Java ".

Depuis, ce mont, qui renferme les ruines de nombreux temples, est devenu le sanctuaire sacré du Cambodge par excellence et la source de l'identité khmère.
Un des sites du plus grand intérêt est la rivière aux Mille
Linga, découverte en 1968 : son cours creuse un massif de grès dans lequel de multiples lingua, bas-reliefs et inscriptions ont été sculptés.


2- Le lac Tonlé Sap

(Lire aussi l'étude :
Le Tonlé Sap était-il une mer ? ) et les conclusions de l'hydrologue Roger Mottet (1997)

Le Tonlé Sap est un nom propre qui désigne à la fois ce qui est le plus grand lac de l'Asie du sud-est et le curieux fleuve ( Tonlé ) de 120 km qui, au gré des deux saisons de l'année, soit alimente ce lac ( Boeung ) en empruntant les eaux du Mékong, soit, par phénomène d'inversion de courant, déverse le trop-plein du lac dans le Mékong inférieur à Phnom Penh, dans la confluence dite des Quatre-Bras.
Cet ensemble lac-rivière, coeur du Cambodge, forme une zone inondable unique au monde tant par sa surface ( bassin de drainage de 67.600 km² ) que par son mode de fonctionnement :
En juin, début juillet, au commencement de la saison des pluies, l'élévation du cours du Mékong provoque une concurrence entre les flux du Tonlé Sap et celui du Mékong. A l'équilibre, le flux d'eau est retenu dans le Grand Lac qui commence alors son débordement vers les zones inondables. Après cette période où le courant est nul, le flux s'inverse en direction sud/nord et le surplus des eaux du Mékong nourrit le Grand Lac qui gonfle, inonde et bouleverse la nature cambodgienne sur une surface de près de 67.600 km².

Les eaux de la rivière Tonlé Sap, alimentées par celles du Mékong ( environ 20 % de son flot total qui passe de 15.000 m3/sec à plus de 60.000 m3/sec), se déversent dans le Grand Lac pendant 100 jours environ, de fin juin jusqu'au début d'octobre : la forêt inondée (6.000/7.000 km²) est alors couverte par les eaux qui ne laissent apparaître que les boules sommitales des plus hauts arbres.

A- Géologie et nature :

Le Grand Lac est au centre de la cuvette centrale du Cambodge, bordée par les monts Cardamones à l'ouest, le plateau des Mondolkiri à l'est et la chaîne des Dangrek au nord. Il reçoit un flux alluvionnaire considérable des éminences qui l'encerclent, notamment des monts Phnom Kulen.

C'est une immense nappe lacustre à géométrie variable : 2 500 km² en saison sèche (4 fois le lac Léman), cinq/six fois plus en fin de saison des pluies (soit 13 à 16.000 km²)! Son altitude varie de 7 mètres en période de basses eaux à une quinzaine de mètres en période d'inondation maximum.
En saison sèche sa profondeur moyenne est de 1 mètre et demi et il se rapproche d'une zone marécageuse paisible, et le plus souvent navigable. La profondeur moyenne passe à 10 mètres en fin de saison des pluies.
La température des eaux du lac se situe entre 28° et 29°.
Les eaux sont d'une extrême turbidité et servent de milieux d'échanges et de transports pour les alluvions comme pour les espèces vivantes.

Le lac est (était) entouré par une ceinture de forêts inondées de 20 à 30 km de large passant à quelques 65 km à l'ouest du lac. Cette forêt inondée draine un réseau de petites rivières, étangs et lacs. La ceinture de forêts inondées est elle même inscrite dans une couronne de champs inondables couverts de roseaux, de joncs et de petits bambous.
La périphérie la plus externe contient des rizières sur 25 km de profondeur.

La forêt inondée, ou forêt lacustre, couvre (couvrait) 6.000/7.000 km², est formée de taillis épineux, de futaies d'arbres dont les troncs sont couverts de boue et les branches chargées d'herbe. Dans les endroits les mieux préservés, devenus rares, elle forme une voûte de 20 mètres de haut. Les grands arbres sont principalement des Barrigonia. En fait il s'agit plutôt d'une savane marécageuse dans laquelle les arbres apparaissent en groupes espacés ou individus isolés. La majorité de la végétation consiste en taillis épineux de type Sesbania Javanica.

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Le lac communique avec la mer en empruntant une immense gouttière centrale à très faible pente, orientée Nord-ouest/Sud-est, dans laquelle coule la rivière Tonlé Sap sur 120 km, puis, à partir de la confluence des Quatre-Bras à Phnom Penh, le Mékong inférieur et le Bassac qui rejoindront la mer de Chine méridionale à travers un immense delta.
Au site dit des Quatre Bras, face au Palais Royal de Phnom Penh, le puissant Mékong venant du Tibet cherche désespérément à rejoindre la mer : à la saison des pluies, une pente trop faible l'oblige à déverser son trop plein dans le cul de sac du Grand Lac par le biais de la rivière Tonlé Sap, qui, de force, inverse son cours.
Ce phénomène, unique au monde par son ampleur, permet de comparer le Grand Lac au coeur, battant au rythme de deux fois l'an, d'un vaste écosystème régissant totalement la vie des espèces animales et l'activité humaine de tout le pays.
Mais ce coeur se fatigue à cause d'un apport d'alluvions considérable... Tchéou Ta-Kouan, voyageur chinois du XIII ème siècle rapportait des différences de niveau des eaux de 28 mètres, elles ne sont plus que de la moitié. Au rythme actuel d'envasement, de sédimentation et de massacre écologique le Grand Lac pourrait disparaître dans quelques dizaines d'années. Tout un équilibre écologique, social et économique serait alors détruit...
Lire les conclusions de l'étude de Roger Mottet (1997)

Le bilan hydrologique du Grand Lac s'établit comme suit ( base année 1962, million de m3 ) :

Pluies de mousson (+ 13,9) - évaporation ( -10,4) + 3,7
Apport des rivières*+ 24,3
Apport du Mékong par la Tonlé Sap + 45,0
TOTAL DES APPORTS+ 73
Export par la Tonlé Sap vers le Mékong- 72,9
SOLDE NET.+ 0,1 million de m3.

* plus la part des eaux d'inondations de la partie du Mékong située entre Kratié et Phnom Penh.
Le Mékong compte pour plus de 60 % de l'alimentation en eau du Grand Lac.

B- Climat

Climat tropical humide pendant la saison des pluies, tropical sec durant l'hiver.
80 % des pluies ont lieu durant la mousson du Sud-ouest de mai-juin à octobre-novembre.

La température moyenne est de 26,7° avec un maximum de 40° et un minimum de 9,5°.

C- Historique et habitat

On ne peut dissocier Angkor, capitale de l'empire khmer entre les années 800 et 1432, et le Grand Lac.
Angkor est situé à quelques 10 km de la rive nord-ouest du lac. Le choix de cet emplacement ne fut pas dû au hasard. Les monts Phnom Kulen, le site d'Angkor et le lac forment un ensemble géographique cohérent lié par les rivières et la culture du riz.

Il est troublant de constater que, encore aujourd'hui, seule cette partie nord du Grand Lac a été civilisée : les terres au sud ouest sont restées vierges, on n'y trouve pas de vestiges archéologiques antérieurs au XV ème siècle, la population, de faible densité, est composée d'ethnies considérées par les Cambodgiens des plaines comme plus sauvages...

Connue pour ses temples, Angkor était aussi une merveille hydraulique qui alimentait une plaine fertile à travers un formidable complexe de canaux et de réservoirs (appelés " barays " en khmer). (Voir le document Angkor et l'eau)
L'avancée et le déclin de la civilisation khmère sont liés à cette gestion de l'eau. Aujourd'hui cette gestion prend un tour nouveau avec la nécessaire protection du Grand Lac. S'il venait à mourir par envasement et sédimentation, le destin du Cambodge pourrait être le même que celui d'Angkor.

De nos jours, en raison de sa richesse en poissons et de la fertilité des terres environnantes, le Lac et ses abords abritent une population importante dispersée entre une soixantaine de villages. Alors qu'il était communément admis que cette population était majoritairement d'origine vietnamienne, saisonnière et migratoire, de récentes enquêtes de terrain ont infirmé cette assertion : les 2/3 de la population seraient d'ethnie khmère, permanente et sédentaire.

Les villages lacustres varient considérablement en importance, regroupant entre 80 et 6.000 habitants. Les familles vivent sur des petits bateaux ou sur des maisons flottantes faites de bambous, situées sur les rives en saison sèche et sur les rivières ou dans la forêt inondée pendant la saison des pluies. Ces migrations sont dictées par le climat qui, pendant la saison des pluies exige que les habitations soient mises à l'abri du courant et des vagues (qui peuvent atteindre 3 mètres de hauteur !)

L'infrastructure sociale et les services publics sont extrêmement limités : un instituteur pour 370 enfants, pas d'hôpitaux alors que les maladies infectieuses sont d'autant plus répandues que les habitants boivent l'eau du lac sans aucun traitement préalable...

D- Poissons et pêche

La pêche dans cette zone, avec environ 50.000 tonnes de poissons rien que pour le Grand Lac, fournit plus de 50 % des ressources en protéines du Cambodge. Mais l'absence de surveillance et de réglementation, l'exploitation incontrôlée de la forêt inondée, semblent provoquer une baisse de la productivité.

Normalement la campagne de pêche dure d'octobre à mai, pendant le reflux des eaux. Elle se fait surtout pendant la période de lune croissante.

Plus de 215 espèces de poissons ont été dénombrées, dont 38 espèces commerciales, avec une abondance particulière de Cyprinidae. La production commerciale avoisine les 50 kg/ha/an

Fait extraordinaire, 15 espèces de poissons de mer, datant du temps géologique où le lac était recouvert par la mer , existeraient encore. On peut aussi rencontrer trois espèces de dauphins d'eau douce qui migrent du Mékong et, bien qu'en voie de disparition, le mythique poisson-roi, bête de plus de deux mètres et 200 kg, et la carpe géante siamoise qui peut atteindre le quintal .

Le Grand Lac possède la plus grande densité de poissons au monde : mais cette densité est tributaire des mouvements des inondations et de l'état de conservation de la forêt inondée. Or cette forêt est menacée. Elle disparaît progressivement en bois de chauffage. Cette déforestation accélère le phénomène d'envasement naturel qui contrarie les inondations, détruit les frayères, diminue le développement biologique des micro-organismes, phyto et zooplancton... Aujourd'hui seul un projet d'ensemble pourrait permettre d'établir solidement les fondements de l'équilibre écologique de ce système lacustre.

On trouve trois familles de poissons :

La plupart des poissons suivent des migrations régulières qui correspondent aux variations de niveau des eaux du lac : cette circulation met en relation les profondeurs turpides de la forêt inondée, lieux d'alimentation et de reproduction, avec les flots rapides et vivaces du Mékong.
L'étude de ces migrations, qu'elles soient génétiques avec pour finalité la reproduction, ou trophiques, c'est à dire visant la recherche de nourriture, est une source exceptionnelle de connaissances qui justifie les nombreuses recherches en cours.

Les poissons de petite taille sont transformés en " prahoc " ou pâte de poisson fermentée, plat national cambodgien. Ces petits poissons sont vidés encore vivants sur les bords du fleuve; on les laisse gonfler au soleil avant de les mettre dans de grands paniers circulaires qui vont servir de fouloirs où la masse du poisson mélangée à du sel sera réduite. Ces salaisons seront conservées toute l'année dans des jarres.
Un échange traditionnel se fait entre les Chams (Khmers musulmans) qui fabriquent le prahok et les riziculteurs qui viennent en charrettes traditionnelles au timon recourbé attelé de boeufs troquer le riz contre les protéines animales.

On compte plus de 70 techniques de pêche, allant du filet à la nasse, en passant par le harpon. Les pièges utilisés pour capturer le poisson vont du plus simple au véritable barrage flottant : le " daï ".
Le daï est un piège fixe tenu par des radeaux de bambous ancrés, formant des sections de 25 mètres de long sur 10 mètres de profondeur. Les mailles se rétrécissent de 10 cm à l'entrée du piège pour 10 mm à l'autre extrémité où un panier de rotin est fixé. (technique de pêche utilisée au moment de la décrue, de décembre à février)

La pêche à l'explosif ou aux produits chimiques, l'utilisation de pneus usagés pour attirer les poissons éléphants, les pièges à poissons de type " samra ", faits de petits arbres, dérangent le milieu et ont un effet destructeur sur les stocks de poissons.

D-Flore, faune et chasse

Sur la bordure externe de la forêt inondée on trouve les " veals ", prairies de roseaux, joncs et petits bambous.

Le lac sert à la culture du riz flottant : cette espèce de riz est capable de s'allonger de 10 cm par jour pour atteindre des longueurs de 9 à 10 mètres, parvenant ainsi à suivre, comme dans une compétition, la montée des eaux.

Les descriptions des premiers explorateurs font état d'une faune sauvage exceptionnelle. Celle-ci a subi les dommages de la guerre, en particulier des mines, et d'une chasse trop importante.
Encore en 1996, la chasse menace la faune sauvage du Grand Lac. Même les oiseaux sont chassés par les populations locales, soit pour leur consommation propre, soit pour la vente.

Le gibier d'eau est capturé par des filets ou empoisonné par des pesticides, les mammifères tels que les singes, les loutres et les rongeurs sont pour la plupart piégés et exportés au Vietnam, ainsi que les reptiles : cobras, pythons, tortues et crocodiles.

Seule la mise en oeuvre stricte de mesures de protection pourrait arrêter de telles pratiques.

E- Nuisances et menaces

La principale menace est la déforestation due essentiellement à la coupe pour faire du bois de chauffage ou pour la construction des pièges à poisson ou tout simplement pour étendre les surfaces rizicoles.

Ces actions ont sensiblement accru l'envasement du Grand Lac qui est également un phénomène naturel, sujet à de nombreuses querelles d'experts. Les plus pessimistes donnent 20 ans avant de voir le Lac disparaître, les plus optimistes donnent 1.500 ans...

Cependant tous s'accordent à dire que la déforestation est la cause majeure de l'augmentation de la sédimentation, de la diminution des frayères et donc de l'appauvrissement piscicole. La forêt inondée est le premier maillon de la chaîne écologique du site : s'il vient à rompre, c'est l'ensemble du système qui sera menacé...

La pollution de l'eau est un problème croissant. Toutes les maisons, villages et villes jusqu'à Phnom Penh déversent leurs ordures directement dans la rivière sans aucun traitement...

Des travaux d'irrigation, digues et nouveaux ouvrages, menés sans études ni compétences, notamment pendant la période khmère rouge, ont gravement perturbé l'équilibre hydraulique...

Des projets de barrages hydroélectriques, que ce soit sur le Tonlé Sap ou sur le Mékong supérieur, font aussi peser une grave menace sur la circulation des alluvions, de sédiments et la migration des poissons.

A l'heure actuelle, seule une étude complète et fort coûteuse des données hydrologiques devrait permettre une amélioration de l'irrigation sans perturber l'équilibre écologique : la première urgence est de satisfaire le besoin de données scientifiques pour établir une planification à long terme et un schéma global pour la région.

La protection du Grand Lac est un sujet d'intérêt national et devient une urgence : de nombreux projets d'assistance sont en cours. Bientôt le Tonlé Sap sera inscrit sur la liste du Patrimoine Mondial Naturel afin de mieux préserver ses caractéristiques exceptionnelles et son rôle de régulateur du système fluvial du bassin du Mékong.

3 - Les Quatre-bras

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