Les danses royales, comme les danses populaires, sont désignées
au Cambodge par le terme lokhon, au Siam et à Java,
par celui de lakhon.
Les similitudes ne s'arrêtent pas au nom : attitudes et mouvements, choix
des sujets interprétés, composition de l'orchestre
et des costumes ne différent peu.
Il est vraisemblable que les arts de cour sous les rois angkoriens aient été introduits au début du IXème siècle par Jayavarman II, roi d'éducation javannaise. Il semble qu'il appliqua ainsi à sa cour maintes traditions musicales et chorégraphiques originaires de son lieu de formation et associées au culte civaïque du roi-dieu.
La légende fait de ce roi le fils d'Indra qui aurait été formé dans le domaine des dieux en compagnie d'un autre mortel, fils de déesse, nommé Préah Pisnokar. Indra fit construire Angkor par ce dernier qui avait été formé à l'architecture. Indra descendit sur terre à l'occasion des fêtes de couronnement de son fils, lui offrant le royaume du Cambodge, les attributs de la royauté et les apsara, danseuses célestes, pour qu'elles livrent aux Khmers les secrets de la chorégraphie.
On retrouve maints bas-reliefs et épigraphies, dès le VIIème siècle, traitant des danseuses. Il est souvent fait allusion à des donations d'esclaves, futures danseuses dont on détaille le nom et le statut privilégié.
Il ne subsiste nulle trace des techniques et du rituel originels
des danses. Il est notable qu'aucune des 1700 Apsara d'Angkor
Vat n'esquisse un mouvement de danse. Ce n'est que sous Jayavarman
VII (XIIIème siècle) qu'elles s'animeront sur les
bas-reliefs, mais en reprenant invariablement la même pose,
celle de l'envol, que l'on retrouve presque à l'identique
aujourd'hui.
La conservation de cet art originel est douteuse. Les aléas
historiques et religieux le modelèrent d'autant plus facilement
qu'il n'existe pas de canon écrit aux règles impératives.
Un autre élément qui favorisa l'évolution
des mouvements fut celle des costumes : si l'on en juge par les
bas-reliefs, ( photos ), les danseuses
avaient les seins nus, une jupe qui laissaient une grande liberté
de mouvement aux jambes et portaient des bijoux. Avec l'alourdissement
du costume et l'apport de soieries raides, la danse perdit en
dynamique expressive pour se concentrer sur les mouvements des
bras et des mains.
La conversion des rois au bouddhisme, l'abandon progressif des anciens cultes brahmaniques, amenèrent la dispersion des danseuses sacrées attachées aux grands temples. Certaines intégrèrent le Ballet royal, beaucoup regagnèrent leur village permettant ainsi aux grandes épopées classiques d'être mieux connues du peuple.
Après les invasions siamoises, la cour d'Ayuthaya repris la danse khmère à son compte. De leur côté, les Khmers négligèrent leurs danses qui connurent une forte influence vietnamienne dans la première partie du XIXème siècle. Le ballet n'était plus qu'une survivance fantomatique du passé.
C'est le roi Ang Duong (1796-1859), élevé à la cour siamoise, qui reconstitua le corps de ballet, revit, corrigea et purifia le répertoire et s'attela à faire disparaître les éléments hétérodoxes infiltrés dans la chorégraphie, en particulier les attitudes et les gestes empruntés à l'opéra vietnamien. Ce renouveau devait donc beaucoup à la cour du Siam et à la culture thaï.
Sous le protectorat français (1863-1953), le Ballet Royal eut une existence mouvementée : en grande partie dispersé à la mort du roi Norodom en 1904, il est rassemblé par son successeur, le roi Sisowath, en vue de l'Exposition Coloniale de Paris en 1906. Puis il connaît ensuite un nouveau déclin qui provoquera des mesures efficaces des autorités françaises à l'appel de Georges Groslier. En 1928 les danseuses royales obtiennent le statut de fonctionnaire. Les autorités de Vichy dissolvent le Ballet en 1942.
Toujours est-il, que les danseuses n'étaient désormais plus cantonnées au palais et consacrées au seul plaisir du roi. On peut d'ailleurs noter qu'elles continuaient de danser, même une fois déflorées, et que seule la maternité mettait fin à leur carrière.
La reine Kossamak reprit alors le Ballet royal en main ce qui
lui permit de retrouver son éclat à partir des années
50.
Les membres du Ballet furent presue totalement assassinés
durant le régime des Khmers rouges. Cet art qui se transmettait
sans aucun support écrit connut alors une menace forte
de disparition. Il fallut s'atteler à retrouver les rares
survivantes afin qu'elles puissent réapprendre l'art de
la danse sacrée à des jeunes filles ;
Au côté des efforts faits au Cambodge pour réhabiliter
le Ballet royal, l'enseignement de la danse se perpétua
également dans les camps de la frontière thaïlandaise
et des troupes se créèrent à l'étranger,
notamment en France et aux Etats-Unis.
Fort de sa renommée internationale, le Ballet royal du Cambodge dirigé par la princesse Bopha Dévi, ancienne danseuse étoile, et sous la tutelle du Ministre de la Culture et des Beaux-Arts, bénéficie maintenant d'une aide qui lui permet de former les danseurs, de se rééquiper en costumes et matériels, et de se produire non seulement au Cambodge, mais également à l'étranger.