Deux extraits du livre de VANDY Kaonn : Cambodge ou la politique sans les Cambodgiens

LE PARTI COMMUNISTE DU KAMPUCHÉA
LES KHMERS ROUGES



VANDY Kaonn, né en 1942 a fait des études de sociologie à la Sorbonne. Il fut professeur de philosophie avant d'entamer une carrière journalistique. Déporté par les Khmers rouges, il s'installa en politique de 1979 jusqu'en 1989 date à laquelle il décida de s'installer en France.


Extrait 1-
LE "PARTI COMMUNISTE DU KAMPUCHÉA"

Lorsque Saloth Sâr (1) et Ieng Sary quittèrent la France en 1951, ils se rendirent au Viet Nam où un cadre révolutionnaire Viet Công, Pham Van Ba, les conduisit au Cambodge.

Mis en contact avec le groupe du "Prâchéachun" (2) probablement à partir de cette année, ils se firent très vite remarquer par Tou Samouth (3) qui les introduisit ensuite dans le Comité central du Parti du Peuple Révolutionnaire Khmer à l'occasion du 2ème congrès du P.P.R.K. (4) qui se tint le 30 avril 1960 dans le maquis cambodgien. Deux ans plus tard, Tou Samouth disparut mystérieusement et Saloth Sâr devint secrétaire général de ce Parti. Ayant accédé à ce poste, le futur Pol Pot changea le nom du Parti : en 1962, le Parti du Peuple Révolutionnaire khmer devint le "Parti Communiste du Kampuchéa" (P.C.K.).

Ayant pu se ménager un soutien très sûr parmi les Khmers communistes, Pol Pot organisa un groupe très discipliné de 5.000 cadres à qui le prince Sihanouk donna plus tard le nom de "Khmers rouges". A la différence du Viet Minh, ce groupe concentra ses attaques contre le prince Sihanouk, du moins jusqu'à 1969, date à laquelle Chou En Lai signifia à Pol Pot qu'il ferait mieux de diriger ses attaques contre Lon Nol. A cette époque, cette faction des communistes khmers s'était attiré beaucoup de sympathisants parmi des personnalités prestigieuses, les étudiants, les journalistes, les parlementaires et surtout parmi les enseignants. Khieu Samphân, Hou Yuon, Hu Nim n'étaient pas seulement professeurs à la Faculté de Droit, mais des députés passés maîtres dans la rhétorique et les joutes oratoires.

Dès son retour de France en 1959, Khieu Samphân fonda un journal de langue française, "1'Observateur", par le truchement duquel il affichait un nationalisme émouvant qui ne manquait pas du reste de faire palir de jalousie le prince Sihanouk. Selon les articles publiés dans le quotidien, le Cambodge, présenté essentiellement sous l'angle économique, n'aurait été qu'un pauvre petit pays sans défense où les paysans se laissaient volontiers exploiter par les commerçants chinois de façon scandaleuse avec, bien entendu, la bénédiction de ses dirigeants.

Obsédé par ce nouveau rival, Sihanouk ne se sentit pas seulement offensé mais finit par en prendre ombrage. Kou Roun, à l'époque ministre de l'Intérieur, ne put se retenir de donner une leçon à Khieu Samphân... à sa façon bien entendu : il le fit déshabiller un jour en public dans une rue de Phnom Penh. Ce fut ainsi que le prince Sihanouk, à son insu, fit de Khieu Samphân un martyr et donna à la gauche cambodgienne la dimension mythologique qu'elle n'aurait jamais eue. Devenus l'objet d'une persécution permanente de la part des autorités du régime, Khieu Samphân et ses sympathisants s'étaient désormais assurés d'une place et d'une image dans l'opinion publique.

Pour essayer de devancer Khieu Samphân dans la "gauchisation" du Cambodge moderne, le prince Sihanouk privilégia ses relations à tous les niveaux avec les dirigeants communistes chinois et ne tarda pas à s'enliser dans l'engrenage labyrinthique de la diplomatie chinoise.

Au moment où, en 1966-67, la révolution culturelle éclata en Chine, Khieu Samphân et ses amis entretenaient déjà d'excellentes relations avec Saloth Sâr dont le nom était encore insignifiant. Les attaques dirigées contre le prince Sihanouk ayant pris l'ampleur d'une véritable subversion, ce dernier décida de réagir. Il prit des mesures énergiques mais n'oublia pas, comme à l'accoutumée, de menacer la vie de ses adversaires. Prenant ces menaces au sérieux, Khieu Samphân, Hou Yuon puis Hu Nim prirent le parti de rejoindre Saloth Sâr le 24 avril 1968, soi un an après l'éclatement des troubles à Samlaut. Ce départ des trois députés de l'opposition pour le maquis demeura pour la police de Sihanouk une disparition tout à fait mystérieuse. Il coïncida d'ailleurs fortuitement avec des agitations qui eurent lieu à Labansiek et Chhouk.

Tandis que le prince Sihanouk exigeait de Kou Roun de lui dire toute la vérité sur cette affaire, Pékin, par sa radio, annonça la liquidation physique de ces trois députés en prenant même le soin de décrire le lieu et les conditions dans lesquelles aurait été commis le crime. Dans le but, à la fois, de renforcer le mythe de ces "héros" communistes et de mettre les services de renseignements de Sihanouk dans l'embarras, Pékin visa particulièrement le général Lon Nol accusé d'être en rapport avec la C.I.A.

(1) Nom d'origine de Pol Pot.

(2) En vertu des accords de Genève de 1954, les éléments Viet Minh stationnés au Cambodge devaient rentrer chez eux. Les Khmers rouges, malgré leurs hostilités à l'égard des Viet Minh, accusèrent le Parti communiste vietnamien de les avoir laissés seuls combattre "l'Impérialisme américain". En fait, le Viet Minh avait laissé au Cambodge quelques cellules qui agissaient sous le nom de "Prâchéachun" (Le Peuple). Kéo Moni, qui représenta ce groupe, s'est présenté aux législatives de 1955 et obtint 29.509 voix sur 761.958, soit 4% des électeurs inscrits.

(3) Ancien secrétaire général du Parti du Peuple Révolutionnaire Khmer

(4) Parti du Peuple Révolutionnaire Khmer.



Extrait 2 : LES KHMERS ROUGES (page 125)

Si, dans le contexte culturel khmer, les khmers communistes n'avaient que peu de prise sur la population, leur avènement en avril 1975 fut largement favorisé par les circonstances exceptionnelles, en l'occurrence, la prise de position inopinée du prince Norodom Sihanouk en leur faveur.

Après sa destitution le 18 mars 1970, en effet, le prince avait choisi de se réfugier à Pékin au lieu d'accepter le statut de réfugié politique en France, qu'il jugeait sans doute trop modeste pour sa trempe. En tout cas, ce fut une grande aubaine aussi bien pour le monde communiste que pour les Khmers rouges dont l'objectif à partir de 1969 était de "briser" la droite républicaine en se servant du prince.

Bien sûr, d'autres facteurs ont contribué plus ou moins à cet événement. Si le conflit sino-soviétique ne s'était pas produit précisément dans cette période, il aurait été probablement très difficile à Chou En Lai d'envisager un renversement rapide de Lon Nol en faveur de ses affidés khmers rouges, dont la mission consistait à installer au Cambodge des assises révolutionnaires pro-chinoises au détriment de la fédération indochinoise prévue dans les calculs soviétiques. Dans une autre conjoncture, on voit très mal comment les Khmers rouges s'y seraient pris pour se soustraire à l'emprise du Parti communiste vietnamien sans se disloquer. Du reste, même avec le soutien des communistes chinois, le sursis de trois ans accordé par Hanoï aux Khmers rouges entre 1975 et 1979 ne permit pas à ces deniers de surmonter leurs différends internes. La prise de Phnom Penh elle-même, en avril 1975, ne fut pas sans bavure.

La direction du Parti communiste du Kampuchéa, le P.C.K., sous la férule de de Pol Pot, voulait un parti communiste qui ne dépendît ni des Vietnamiens, ni des Soviétiques, mais un parti indépendant qui ne fût pas obligé d'emprunter à la lettre le modèle léniniste jugé "déviationniste" par rapport au stalinisme considéré comme plus conforme à l'idéal communiste. Les communistes vietnamiens se seraient sans doute engagés dans la même voie radicale, si Hô Chi Minh ne s'était pas préparé à se soustraire à la tutelle chinoise. Il faudra, au 'demeurant, des échecs économiques réitérés - dont l'expérience cambodgienne - pour que le Parti communiste vietnamien se détournât peu a peu du radicalisme préconisé par Mao Tsé Toung pour qui la combinaison de la superstructure révolutionnaire avec les valeurs bourgeoises était susceptible de compromettre toute restructuration socialiste. Si le Parti communiste vietnamien put éviter de se livrer à une purge aussi systématique que celle des Khmers rouges, ce fut en grande partie grâce à la pression économique exercée par l'URSS qui, après les tristes expériences de Staline, ne tenait pas à les voir réitérées au Viet Nam.

Toutefois, en optant pour le modèle chinois, les Khmers Rouges n'obéissaient pas seulement à des soucis purement idéologique : entendant échapper à la tutelle vietamienne, ils étaient surtout animés de sentiments irrédentistes.

ACCAPAREMENT ET PARTAGE IMPOSSIBLE

Peu avant la victoire des Khmers rouges le 17 avril 1975, le groupe de Pol Pot avait déjà procédé à l'élimination des éléments communistes qui avaient travaillé - et étaient suspectés de travailler encore sous la direction du Viet Minh, comme il s'était débarrassé, au début des années soixante, de Son Ngoc Minh (1) et de Tou Samouth (2). En avril 1975, Pol Pot développa la purge dans des groupes où figuraient ses plus proches collaborateurs qu'il suspectait d'être à l'origine des protestations, voire d'un complot contre la ]igne politique du P.C.K., En 1975-1976, pour surmonter des divergences inextricables qui régnaient dans le mouvement de libération nationale depuis la prise de Phnom Penh, Pol Pot ne vit d'autre solution que de s'imposer par la terreur. Avant d'accéder complètement à la tête du P.C.K, en 1977, le groupe de Pol Pot, appuyé par Ta Mok (3) et d'autres chefs de bandes réputés pour leur fanatisme, élimina un grand nombre d'intellectuels qui avaient osé mettre en cause sa méthode de "construction du socialisme", entre autres Hou Yuon et So Nèm. Ces conflits armés internes, d'une rare violence, qui plongèrent le pays dans une terreur indescriptible, marquèrent le début de la chute du régime.
Cette période au cours de laquelle les Khmers rouges des différentes factions s'éliminèrent les uns les autres dura deux ans avant d'aboutir à un soulèvement organisé par Sâr Phim dans la partie est du pays, au profit des communistes khmers (4) qui, pour parvenir à renverser Pol Pot, durent demander l'intervention. des troupes vietnamiennes.

LE MASSACRE

La dimension du massacre des populations cambodgiennes au cours des années 1975-1979 ne s'explique pas seulement par la purge généralisée au niveau des cadres khmers rouges mais aussi par l'exécution de la peine capitale infligée aux populations civiles accusées de résistance passive à la loi de l'Angkar (Organisation) et par de nombreuses délations effectuées dans ce climat de psychose et de terreur.

Les anciens fonctionnaires des régimes précédents furent exécutés les premiers et naturellement sans aucune sentence.

Pol Pot était effectivement parti de cette idée que le manque de confiance et la mise en doute de ses lignes poilitiques et idéologiques étaient les prémices qui conduiraient inéluctablement sa "révolution" à la défaite. Pour lui, comme du reste pour ses collaborateurs, la seule façon d'amener les cadres et toute la population à observer scrupuleusement les principes organisationneils ne pouvait être que le terrorisme.

"LE GRAND BOND EN AVANT"

Bien avant la prise du pouvoir en avril 1975, les Khmers rouges étaient déjà très divisés quant à la stratégie de restructuration du Cambodge "moderne". Bien que les modèles traditionnels du marxisme-léninisme aient servi de base à leur "révolution", Pol Pot, Iang Sary et Khieu Samphân ont en fait puisé puis exacerbé leur "idéologie" dans la vision d'un patriotisme khmer inspiré par la poésie lyrique des années cinquante, et selon laquelle les effets des civilisations occidentales et pré-industrielles auraient "empoisonné" ou "pollué" la vie pleine de pureté de la paysannerie cambodgienne.

Mais par un tel romantisme, dans lequel alternaient douceur et fanatisme, Pol Pot et son "cercle amical" entraînèrent des intellectuels "progressistes" qui luttaient quant à eux contre les excès des traditions conservatrices auxquelles ils imputaient le déclin du pays. Au début rationalistes, par rapport aux institutions politico-culturelles, de l'époque, ces derniers se laissèrent peu à peu influencer par le marxisme dans lequel ils crurent trouver la solution idéale pour sortir le pays à la fois de sa soumission aux suzerains et de sa stagnation économique.

Après la prise de Phnom Penh, ils s'attendaient à des réformes sociales dans le sens d'une "nationalisation", voire d'une étatisation progressive de l'économie. En effet, bien que marxistes orthodoxes, des intellectuels comme Hou Yuon, par exemple, ne voyaient la possibilité de moderniser le Cambodge que par la mise en place d'un système de production, de gestion et de distribution qui, tout en rationalisant la distribution des revenus de façon plus équitable, pût permettre également des profits (5) considérés comme l'un des facteurs de la stimulation du développement économique. Si les uns et les autres s'entendaient pour établir une réorganisation de la production fondée sur un esprit de justice absolue, quelques intellectuels comme So Nèm ne pouvaient admettre l'abolition de la monnaie, décidée peu après l'avènement des Khmers rouges en avril 1975.

Pour surmonter ces divergences, Poi Pot élimina purement et simplement ceux qui s'opposaient à sa conception ; ils entendaient faire table rase du passé en quelques jours, pensant qu'un pouvoir fondé sur le terrorisme était beaucoup plus efficace que les compromis avec les valeurs d'une "classe" déjà vaincue.

Après cette purge, ce fut un "lavage de cerveau" aussi terrifiant que meurtrier. Au cours des "cours politiques", un grand nombre de "réfractaires" furent tués après des tortures physiques et morales extrêmement avilissantes qui feraient pâlir les tortionnaires d'Auschwitz. Cette méthode, très connue, de substitution forcée des croyances religieuses et des valeurs qui régissent le reste du monde par une pensée "révolutionnaire" édifiante soumit les victimes à un choc psychologique tellement violent qu'elles étaient complètement terrassées avant d'être abattues par des coups de pioche. Il s'agissait, en effet, pour les tortionnaires de faire souffrir aussi longtemps que possible car un coup de pioche ou un poignard enfoncé au bon endroit abrègent les douleurs. Beaucoup de "réfractaires"' ont été enfermés dans des cellules très étroites de telle façon qu'ils ne pouvaient ni s'asseoir ni se tenir debout ni se coucher, pendant des mois entiers.

Pendant cette campagne de "désintoxication culturelle", le bouddhisme, accusé d'être à l'origine de la stagnation économique, fut radicalement déraciné. Les pagodes furent transformées en porcherie ou en laboratoire d'expérimentation de la médecine traditionnelle. Les bonzes furent défroqués et intégrés à l'armée ou à la milice.

La réaction de la population fut très vive mais prudemment retenue. Les jeunes gens arrachés à leurs parents et formés en "brigades mobiles", étaient envoyés dans tous les coins du pays pour s'adonner aux travaux les plus durs et les plus dangereux. Mais les jeunes n'étaient pas les seuls à "bénéficier" de cette "éducation" qui devait "forger" le caractère des Cambodgiens jugés excessivement sédentaires et "bureaucrates". L'inculcation de la philosophie matérialiste pour durcir le caractère était imposée à toute la population, y compris aux gens du troisième âge qui ne devaient pas être inutiles pour la "nouvelle société". La première leçon consistait à se débarrasser des sentiments de nostalgie, d'amour et d'amitié, d'attachement aux biens intimes pour les remplacer par l'esprit de sacrifice. Toutes les infractions à ces règles étaient soumises à des séances de critique et d'autocritique, qui avaient lieu chaque soir, avant d'être l'objet de sanctions. Pour avoir transgressé ces lois, une grande partie de la population déportée fut envoyée au bagne, dont personne n'est revenu. Le manque d'orientation professionnelle et l'embrigadement des villageois pour les seuls travaux de production rizicole avaient pour objectif la transformation systématique de la population entière en ouvriers agricoles de l'Etat ou des collectivités locales. Cet objectif impliquait également, sur le plan de la rééducation des masses populaires, la transformation des anciens citadins en paysans ainsi que l'abolition radicale et rapide de la bureaucratie. La reconversion brutale des "parasites" des villes, des fonctionnaires, des commerçants en force de production se solda par la destruction complète de la production.

Ceux qui tentaient, d'une manière ou d'une autre, de se soustraire à ce nouveau mode de vie étaient envoyés au Centre de rééducation et beaucoup n'en revenaient jamais. En dépit de cette intransigeance, certains chefs régionaux se gardaient d'obtempérer pour la seule raison que, s'ils ne parvenaient pas à obtenir une bonne récolte, ils seraient accusés d'avoir saboté l'économie nationale car la pertinence des lignes politiques du Parti ne saurait être mise en cause.

D'autre part, la difficile division de travail au niveau des villages en fonction du principe d'autosuffisance diminuait nécessairement les effectifs du personnel actif responsable des travaux rizicoles. D'autres secteurs de la fonction économique, notamment la pêche, la culture industrielle, l'artisanat, ne pouvaient en aucun cas se passer des riziculteurs. Des mutations et permutations inextricables étaient nécessaires mais réussissaient seulement à perturber toutes les tâches. Depuis des siècles déjà, ces cultivateurs ont toujours été "plurivalents" et la division de travail était établie en fonction des saisons et de la structure familiale. Il était évident que la transposition intempestive du système communiste chinois ne pouvait que désorganiser complètement une vie paysanne aussi rituelle. Peut-être que la Chine communiste, mille fois plus peuplée, pouvait se pemettre une telle division de travail.

L'expropriation des biens mobiliers et immobiliers au profit de la collectivité et de l'État atteignait un degré tel que la révolte, et cette fois pour de bon, grondait un peu partout dans le pays, chez les paysans et même parmi les cadres militaires et administratifs. C'était en 1977-1978, l'année qui marqua le début de la chute du régime collectiviste des Khmers rouges. En dépit d'une reprise en main d'un grand nombre de communes, l'administration de la Révolution ne parvint toujours pas à redresser la baisse extrêmement critique de la production agricole. La famine et toute la gamme des maladies de malnutrition apparurent et firent autant de victimes qu'une guerre. Il n'y avait pas de village qui ne fût atteint par ces calamités. Chaque jour, des dizaines d'hommes, de femmes, d'enfants dans chaque village mouraient les uns après les autres. On eût dit les ravages d'une épidémie. Le système de distribution et d'échanges, sans l'intermédiaire de monnaie, ne marchait pas. Cette forme renversante de troc "préhistorique", non seulement ne résolvait pas, même au niveau des communes, le problème de la spéculation économique, mais bloquait les ravitaillements quotidiens et ne suffisait, plus aux besoins les plus élémentaires.

Au niveau national, le dysfonctionnement du système n'était pas seulement contrariant mais dramatique. A cause de la politique d'autarcie appliquée au niveau des régions en vue de prouver la pertinence de la théorie de l'autosuffisance, certaines régions se trouvaient dépourvues de tout, même d'eau. Les rapports kolkoze-sovkhoze non seulement ne marchaient pas mais l'administration centrale n'arrivait pas à contrôler l'économie du pays découpé en zones autonomes qui ne communiquaient quasiment plus entre elles.

LA RÉVOLTE

Dès les premières heures de son avènement, le Comité central du P.C.K. avait dû faire face à une forme de révolte populaire d'autant plus difficile à mâter que celle-ci s'était exprimée de façon latente, insaisissable. Au début, il s'agissait en fait d'une chute de moral des cadres qui ne s'attendaient pas à des mesures aussi radicales, dont l'absurdité dépassait de loin les rêves les plus surréalistes. Par la suite, cette cruelle désillusion prit la forme d'un désemparement avant d'aboutir, finalement, à une passivité totale.

Ce scepticisme, que Pol Pot ne cessa de dénoncer pendant toute la durée de son "règne", ne tarda pas à gagner une grande partie de son administration territoriale. Pol Pot le considérait volontiers comme une résistance passive très dangereuse qu'il lui fallait combatre d'urgence.

Le soulèvement organisé des cadres n'intervint que par la suite. Refusant de répondre aux instances formulées par Sâr Phim qui voulait le rencontrer et discuter, Pol Pot s'en tenait à sa ligne. Ce fut à ce moment-là seulement que certains cadres ripostèrent : entre autres, Sâr Phim et presque tous les généraux de Bopéa, c'est-à-dire de la partie est du pays. A l'origine de ce soulèvement, il y eut donc le malentendu persistant au sujet de l'inefficacité du système de production agricole préconisé par Pol Pot. Encore ivre de sa victoire "historique", ce dernier ne pouvait admettre l'impertinence de son système. Mettant l'échec flagrant de son système économique sur le compte de ses propres cadres, Pol Pot finit par y voir l'effet d'un retour de ses adversaires traditionnels au sein même de son administration, voire de son P.C.K. : le retour des "petits bourgeois", des intellectuels "populistes". Pourtant, les véritables responsables de cet échec n'étaient autres que lui même et le politburo du P.C.K. composé en fait de sa femme, de Iang Sary, de la femme de ce dernier et de lui-même.

Après la collectivisation systématique des moyens de production et l'expropriation des exploitations familiales (6), la rupture du consensus populaire fut consommée. La chute vertigineuse des rendements, même dans les régions jadis connues comme les greniers du riz cambodgien, fut perçue par l'Angkar comme le signe d'une révolte, car les quatre dirigeants du P.C.K., qui n'entendaient rien en réalité à ce genre de choses, s'étaient attendus à un accroissement extraordinaire de la productivité. Quoiqu'il en fût, Pol Pot fut mis dans une situation telle qu'il était obligé de parvenir à tout prix à stimuler la production : la famine revenait au galop. Des mesures plus ou moins contradictoires furent prises : du terrorisme à l'acceptation tacite des profits (7).

Mais la "nouvelle politique économique" de Pol Pot réussit seulement à favoriser certaines régions au détriment des autres. Cependant, la direction du P.C.K. n'arrivait toujours pas à prendre conscience de ses erreurs. L'encadrement grossier et simpliste des paysans les plus réalistes du monde et des déportés pour organiser la production rizicole à l'échelle nationale selon le schéma traditionnel du communisme de guerre en temps de paix contribuait à miner toute une psychologie de la production. Déterminé à combattre à n'importe quel prix les inégalités et les profits individuels, le Parti communiste khmer de Pol Pot croyait toujours pouvoir transformer la nature humaine par le terrorisme et la contrainte comme il croyait d'ailleurs aux mariages forcés qu'il organisait dans tout le pays, mariages forcés qui se pratiquaient par le passé dans la société traditionnelle khmère.

Le Kampuchéa Démocratique

La prise de Phnom Penh par les Khmers rouges en avril 1975 fut un événement auquel la population s'attendait depuis quelques mois déjà, Mais les premières mesures prises quelques heures après l'occupation de la capitale par les troupes des Khmers rouges furent pour le moins inattendues, surprenantes, stupéfiantes, ahurissantes ; tout le monde, sans exception, fut sommé de vider d'urgence toutes les villes et les chefs-lieux du pays. La raison invoquée fut simple et crédible : les Américains allaient bombarder les villes. En fait, ce fut l'expulsion des citadins, des "parasites" de la ville dans les quatre coins du pays pour suivre les premières leçons de la Révolution communiste. Au programme : d'abord une marche à pied pendant des mois à travers le Cambodge avant de trouver un travail ; ensuite, après la séparation douloureuse des biens mobiliers et immobiliers, ce fut la séparation des êtres chers. Déportés vers les zones reculées du pays, dans des conditions atroces et inimaginables, ces masses humaines, femmes enceintes, enfants, bébés, vieillards, malades, estropiés, mutilés, pères de famille, bref, tout le monde sans exception, furent dirigés vers la campagne où les travaux agricoles les attendaient.

Dans le même temps, à Phnom Penh, nombre de personnalités politiques, qui croyaient encore à la vertu du droit international et à la responsabilité des gens qui l'incarnaient, tentèrent de rejoindre l'Ambassade de France. Elles en furent chassées et envoyées directement au Quartier général des Khmers rouges. Quelques heures plus tard, elles furent exécutées sur la place du Marché central que jonchait déjà une trentaine de cadavres.
Deux jours auparavant, les Américains avaient déjà emmené avec eux ceux qui ne croyaient absolument pas aux communistes. Ces "anticommunistes primaires", qui ne croyaient pas de surcroît à un retour triomphal du prince Sihanouk, eurent décidément plus de chance que les autres qui, dans la panique, avaient oublié que la France était plutôt favorable à Sihanouk et aux Khmers rouges.

Au moment où les appartements, les maisons privées, les hôpitaux et les magasins furent vidés sous la menace des B 40 (8), Pol Pot avait déjà surmonté les divergences qui, quelques heures plus tôt, s'étaient manifestées au sein du Comité central du P.C.K. : ceux qui s'étaient opposés aux déportations furent eux-mêmes arrêtés ou éliminés physiquement quelques instants plus tard.

Les déportés, qui voyageaient pendant des mois avant d'être admis et fixés dans des villages où ils étaient échoués, attendirent d'abord avec un certain espoir, ensuite avec désolation, le retour de Sihanouk. La radio des Khmers rouges ne mentionnait que vaguement les activités de celui qui, quelques semaines plus tôt, avait exhorté avec fébrilité au renversement du régime républicain pro-améncain de Lon Nol

Entre temps, sur tout le territoire conquis par les nouveaux maîtres du Cambodge, se produisirent des heurts et des affrontements armés entre les diverses mini-factions de la révolution rouge cambodgienne, qui se disputaient les zones conquises ou qui donnaient des ordres contradictoires à la population. D'une zone à l'autre, le passage était effectivement difficile aussi bien pour les déportés que pour les cadres Khmers rouges eux-mêmes. Dans ce brassage inextricable des populations, tandis que les communistes d'obédience vietnamienne s'enfuyaient au Viet Nam, d'anciens cadres de Lon Nol et de Sihanouk se dirigèrent vers le nord avec l'espoir de passer en Thaïlande. Si certains de ces Cambodgiens purent passer les frontières après des péripéties cauchemardesques, beaucoup furent interceptés et exécutés en cours de route.

Dans cet imbroglio, où le pays était confronté avant tout à la famine, Pol Pot renforça ses relations avec la Chine et, malgré de nombreuses possibilités qui lui étaient offertes, refusa d'établir des relations avec d'autres pays. En août 1975, la Chine accorda au nouveau Cambodge un prêt de 150 millions de dollars pour remettre l'économie en état. En fait, une grande partie de cette aide fut utilisée pour renforcer des forces armées qui rêvaient de reprendre la Cochinchine. Une organisation économique sur la base des élucubrations marxistes-léninistes étant pratiquement très difficile à réaliser d'un seul coup, chaque région dut adopter, au début, le système qui lui convenait, quitte à être sanctionnée par le noyau dur du Parti. Des rapports plus ou moins balbutiants furent, malgré tout, envoyés au Comité central. Mais ce "réalisme" jugé "subjectiviste" fut par la suite dénoncé comme une attitude "réactionnaire" contraire à la morale révolutionnaire. L'ordre de collectiviser systématiquement et immédiatement la production agricole fut alors donné et mit, en conséquence, les propriétaires fonciers dans la désolation. Bien que les usines et les diverses fabriques aient cessé de fonctionner depuis le premier jour de la prise de Phnom Penh, Pol Pot et ses cadres n'en continuaient pas moins à parler au nom des ouvriers. Les patrimoines mobiliers et immobiliers étant étatisés, mis en commun selon le terme consacré par l'Angkar, tout le monde mangeait "à la cantine" et les bébés étaient confiés à des "gardes d'enfants". Seulement, cantine et garde d'enfants avaient du mal à subsister : le ravitaillement était difficile. Les villageois étant tous occupés par les travaux rizicoles, le recrutement de ces personnels risquait de diminuer la "force de production" pour chaque village.

Chou En Lai avait très souvent conseillé à Khieu Samphân, le théoricien de cette collectivisation hâtive et systématique, de ne pas chercher à atteindre d'un seul bond le communisme intégral. Mais, sur cette question, il semble que les Khmers rouges aient été très allergiques à toutes recommandations tendant à les détourner de ce qu'ils croyaient être les atouts spécifiques du Cambodge. D'autre part, en dehors de ces prétentions, ces derniers accordaient une priorité absolue à la "plate-forme idéologique". Quoiqu'il en fut, des techniciens chinois vinrent quand même sur les lieux pour soi·disant monter des usines et des manufactures nécessaires à la production d'objets et de matériels de première nécessité. En fait, ils y vinrent surtout pour installer une base logistique qui permettrait de lancer une offensive pour tester la défense vietnamienne à un moment où le Viet Nam, en cours de réunification, était très préoccupé par ses multiples problèmes internes. Tandis que la tension entre Khmers rouges et communistes vietnamiens devenait patente (9), Pol Pot entama des négociations secrètes avec la Thaïlande pour ouvrir les frontières khmèro-thaïes aux échanges commerciaux entre les deux pays.

En septembre 1975, le prince Norodom Sihanouk rentra au Cambodge pour occuper la fonction honorifique de Chef de l'Etat du Kampuchéa démocratique. Le nouveau maître du Cambodge, Pol Pot, le fit venir uniquement dans le but de lui couper l'herbe sous le pied et, si besoin était, l'utiliser pour d'autres fins. Il l'enferma dans un bâtiment de l'ancien palais royal et le soumit non seulement à une étroite surveillance mais aux brimades les plus humiliantes que le prince eût connues.

Au cours de l'année 1976, Pol Pot procéda à une autre purge beaucoup plus importante et non moins dangereuse. Il voulait parvenir à éliminer tous les éléments qu'il suspectait d'entretenir des relations secrètes avec Hanoï. Pol Pot soupçonnait en effet, certains chefs régionaux d'avoir négligé les lignes politiques et idéologiques du P.C.K., sous prétexte que l'application des mesures qu'il imposait à ces cadres lui apparaissait empreinte d'un excès de zèle susceptible de précipiter toute la Révolution dans une défaite humiliante. Car, s'il exigeait une application radicale des principes adoptés, il demandait dans le même temps un maximum de créativité et de tact. Ce qui n'était guère possible et les mesures arrêtées avec beaucoup de concision par le Comité central furent évidemment interprétées dans un sens absolument négatif, engendrant des conséquences très néfastes pour la direction du Parti.

Pol Pot jouissait d'une vision politique incontestablement utopique, son flair cependant n'en restait pas moins excellent quand il s'agissait de sa propre sécurité.

Lorsque Khieu Samphân proclama la Constitution du Kampuchéa démocratique le 3 janvier 1976 - où il était question d'expropriation des terres, de l'étatisation de tous les secteurs d'exploitation et de production, de la collectivisation systématique de tous les moyens de production -, les cadres de la partie est du pays étaient déjà prêts à déclencher une révolte populaire en invoquant eux aussi, naturellement, les "décrétales" du Comité central qui, malgré leur concision, n'en demeurait pas moins schématiques ; bref, une véritable parodie de Thmenh Chey (10).

Il ne fut pas difficile aux cadres khmers rouges dissidents de provoquer la révolte, car le mécontentement populaire était général. Entre la "guillotine" de Pol Pot et les faux des villageois ces kammaphibals (cadres) choisirent le rôle de héros .

Au moment où la famine s'étendait jusqu'aux régions réputées les plus riches, Pol Pot signa de nouveaux accords commerciaux avec Chine et entama l'établissement des relations économiques avec le Japon et la Corée du nord. Quelques produits de base pour la fabrication du parfum furent alors exportés vers le Japon en échange de quelques 100.000 tonnes de produits sidérurgiques. Du fait de l'impossibilité totale de mettre en place une infrastructure économique adéquate, d'autres exportations restèrent à l'état de projet.

En janvier 1976, Chou En Lai, le chef de la diplomatie de la Chine communiste - et sans doute le seul ami du prince Sihanouk - quitta pour toujours le Chef de l'État cambodgien claustré entre les quatre murs du palais royal. La mort de Chou En Lai plongea le prince dans une profonde affliction, un désespoir total. Il chercha à entrer en relation avec d'autres personnalités chinoises, entre autres madame Chou En Lai.

Bien que ses efforts eussent abouti, son sort ne s'améliorait guère.

Dans la même année, le Kampuchéa démocratique avait déjà commencé à mettre en place des institutions politiques pour améliorer un peu des relations avec l'étranger dont finalement, il ne pouvait plus se passer. Après les "élections législatives" qui se terminèrent au début de mars 1976, Nuon Chéa fut élu président des assemblées du peuple, Khieu Samphân, président du Présidium (11) et Pol Pot, chef du gouvernement. Suite à cela, le prince Sihanouk dut offrir sa démission pour céder la place à Khieu Samphân. Un peu plus tard, Pol Pot ouvrit les frontières khmèro-thaïes pour établir des échanges commerciaux avec la Thailande. Mais de cette ouverture, il résulta des accrochages fréquents et souvent sanglants entre les troupes khmères rouges et les mercenaires utilisés pour défendre la ligne de démarcation entre les deux pays.

Vers la fin de 1976, Pol Pot élimina Kéo Moni et Nong Suon (12), qu'il suspectait d'être à l'origine d'un complot contre la direction du P.C.K.. Sâr Phim, qui avait entretenu probablement des relations avec ces derniers, parvint à se cacher dans la partie est du pays où il organisa une véritable insurrection en 1977 contre laquelle Pol Pot dut mobiliser ses meilleurs régiments. Des batailles sanglantes et d'une rare violence entre les troupes de Pol Pot et les Khmers rouges dissidents eurent lieu dans toute la partie est du Cambodge contiguë au Viet Nam. Beaucoup d'insurgés - dont Sâr Phim lui-même - périrent au cours de ces batailles qui durèrent plus d'un an.

Après la mort de Sâr Phim, ses lieutenants réussirent à gagner le Viet Nam où ils furent d'abord constitués prisonniers avant d'être envoyés au Cambodge en novembre 1978 pour constituer à l'intérieur du pays un Front populaire fortement appuyé par les troupes communistes vietnamiennes.

A la suite de heurts sanglants, en 1976, entre les Khmers rouges et les mercenaires thaïs aux frontières du nord, le P.C.K. décida le 27 janvier 1977 de refermer les frontières. Dans le même temps, les forces khmères rouges, conseillées par des experts chinois, se massèrent aux confins de la partie est du Cambodge.

Tandis que les troupes khmères rouges bombardaient à la roquette quelques régions du Sud-Viet Nam, notamment Chau Doc, les Chinois n'étaient pas prêts pour autant à une offensive de gande envergure comme étaient tentés de le croire naïvement les Khmers rouges. Pour les Chinois, ces attaques visaient seulement à tester la réaction du Viet Nam dont ils prévoyaient le rapprochement avec l'URSS. Les Chinois voulaient surtout signifier aux Vietnamiens que, d'une manière ou d'une autre, ils étaient bel et bien encerclés. En effet, les attaques que les Khmers rouges venaient de lancer contre le Sud·Viet Nam, attaques massivement appuyées au nord du Viet Nam par la Chine elle-même, étaient pour celle ci un avertissement à Hanoï qui espérait, avec l'aide soviétique, pouvoir encercler la Chine.Or les intentions des Khmers rouges étaient autres.

Pour eux, les menaces que Pékin faisait peser sur Hanoï en guise d'avertissement constituaient déjà le début de la prise de la Cochinchine. Mais, si les dirigeants communistes chinois avaient réveillé depuis des années déjà chez les Khmers rouges ces sentiments irrédentistes, la Chine n'avait pas les moyens réels de supporter une telle entreprise. Elle ne pouvait pas, en tout cas, se payer le luxe d'ouvrir deux fronts en même temps. Au demeurant, prenant les menaces au sérieux, le général viemamien Vô Nguyen Giap (13) décida de faire avancer ses troupes sur le territoire cambodgien. Ce fut à ce moment-là que la radio du Kampuchéa démocratique annonça une offensive imminente de l'armée vietnamienne contre le Cambodge. A l'intérieur du pays, ce fut le remue-ménage. Pol Pot, cette fois-ci, dut faire face à la fois à la mobilisation générale, à la révolte interne et à la famine.

Mais, un peu plus tard, Giap retira ses troupes qui emmenèrent avec elles 150.000 Cambodgiens pour former les forces du FUNSK. Pol Pot, Iang Sary et Khieu Samphân se rendirent à Pékin où, pour la première fois, ils font connaître au monde la fondation du P.C.K. en 1960.

LA CHUTE

S'il est vrai que le Parti communiste vietnamien, malgré l'attitude des Khmers rouges, n'a pas voulu renverser Pol Pot avec qui, du reste, il essaya de renouer les relations d'amitié et de fraternité d'antan, il fut, par la suite, obligé de réagir, au moment où Pol Pot tenta sérieusement de s'emparer de quelques régions de la Cochinchine. Bien que le général Giap ait toujours voulu donner une leçon à Pol Pot, le Parti communiste viemamien s'y était toujours opposé pour donner priorité à d'autres problèmes. Mais les bombardements à la roquette par les Khmers rouges des villages vietnamiens donnèrent au général Giap l'occasion de convaincre le PCVN quant à l'opportunité de réaliser le "Testament" de Hô Chi Minh. Le général Vô Nguyen Giap n'ignorait pas non plus que la situation interne du Kampuchéa démocratique était déjà assez mûre pour que celui-ci soit enfoncé en un seul blitz : la population civile et les cadres Khmers rouges que Pol Pot qualifiait de "rebelles" n'attendaient que le moment opportun pour se libérer du joug satanique de ce régime meurtrier.

Le 5 janvier 1979, Giap lança effectivement une offensive de grande envergure sur le Cambodge. Les troupes de Pol Pot se débandèrent face aux chars russes qu'elles ne parvenaient à détruire avec leurs B 40. Ce fut la débâcle. La reddition ordonnée par Giap fut exécutée. Persécutée alors par les populations civiles, une grande faction de l'armée khmère rouge tourna casaque, se groupa autour du FUNSK et aida le nouveau pouvoir révolutionnaire à s'installer. Tandis que Pol Pot et d'autres dirigeants Khmers rouges rejoignaient la Thaïlande, le prince Sihanouk fut transporté à Pékin, dans un avion chinois, un jour avant la prise de Phnom Penh par les troupes de Giap.


Notes : (1) Son vrai nom est Achar Méan, ancien bonze cambodgien qui avait fui au Viet Nam. L'existence de Son Ngoc Minh est entourée de mystère de telle façon que certains auteurs sont tentés de croire que ce personnage, devenu aujourd'hui légendaire, n'a jamais existé. .

(2) Ancien bonze cambodgien de la pagode Unalom qui avait fui au Viet Nam pendant le bombardement de Phnom Penh par les français en 1945. Il a été ensuite formé par le Parti communiste vietnamien pour opérer contre les Français au Cambodge, en tant que chef d'un mouvement de libération khmer, dans le cadre de la révolution commune des trois pays de l'lndochine.

(3) Nom d'un général de Pol Pot connu pour ses violences et son fanatisme.

(4) Le régime pro-vietnamien au pouvoir depuis janvier 1979.

(5) Le terme de "profit" utilisé par Hou Yuon lui valut sa disparition. Pour Pol Pot, profit veut dire "exploitation".

(6) La Constitutiion du Kampuchéa démocratique proclamée par Khieu Samphân le 3 janvier 1976.

(7) Quelques mois avant la chute du régime, le P.C.K. tenta de relever la situation économique en accordant aux meilleurs producteurs la possibilité de réaliser leur propre profit. Cette souplesse, toutefois, ne figure pas dans les mesures prises par Pol Pot.

(8) Lance obus capable de détruire une maison entière ; arme très connue et redoutée pendant cette période

(9) Au Congrès du Parti des Travailleurs (Parti communiste vietnamien) en décembre 1976, aucune délégation du P.C.K. n'a été envoyée.

(10) Conte populaire khmer dans lequel le héros exécutait les ordres du roi en jonglant avec les mots de telle façon qu'il faisait toujours le contraire de ce qui était exigé, parvenant ainsi à ridiculiser le souverain et à démontrer l'importance du jeu sémantique et les conséquences que pouvait entamer l'ignorance des rapports étroits entre la sémantique et la réalité.

(11) ou Présidium. Dans la Constitution de l'URSS, le président du présidium ou préidence de l'Etat est le Chef de l'État. Tous les pouvoirs étant collégiaux, le présidium est un comité composé d'un nombrede membres élus par l'Assemblée du peuple (Assemblée nationale). Organe permanent qui remplace celle-ci pendant les vacances parlementaires, le préidium est une institution intermédiaire entre le législatif et l'exécutif : il promulgue des lois adoptées par l'A.N.. Ensuite, la plupart des pays socialistes donnèrent à ce Comité le nom de Conseil d'État

(12) Eléments communistes pro-vietnamiens.

(13) célèbre général communiste vietnamien qui a remporté la fameuse victoire de Dien Bien Phu en 1954.