Pol Pot

dit aussi Saloth Sar


Il n'y a pas une famille cambodgienne qui n'ait eu à souffrir dans sa chair des décisions de cet homme...

Jérôme ROUER, déc 96, juin, août 97

On doit à David Chandler ("Frère N°1, une bibliographie politique de Pol Pot") la quasi totalité de nos toutes petites et très incertaines connaissances sur Saloth Sar, dit Pol Pot, l'homme de l'ombre qui inventa et dirigea d'une main invisible le régime khmer rouge.
Au moins au Cambodge, si ce n'est dans le reste du monde, il est le premier dictateur à ne pas avoir cultivé le culte de la personnalité. Ayant vécu toute sa vie caché et en retrait, "Frère N°1" parviendra à faire dire au second Premier Ministre, en juin 1997, "le premier Premier Ministre m'a dit qu'il a entendu dire par quelqu'un qui le tenait de quelqu'un d'autre que Pol Pot a été capturé...".
Trois jours après, les mêmes laissaient entendre qu'il pourrait être mort depuis plusieurs années...
Cependant un mois plus tard, fin juillet 1997, la preuve de son existence, incertaine depuis dix-huit ans, faisait le tour du monde.

Pol Pot est issu de famille paysanne sino-khmère aisée, affiliée à la Maison Royale depuis 1925 :
Sa tante, Khun Meak, fut reine du Cambodge en tant que troisième (mariée en 1925) des 10 épouses successives officielles du roi Monivong. Meak était la fille de la soeur du père de Pol Pot (in "Etat présent de la Maison Royale du Cambodge", édition de 1994, page 106) ;
Une des servantes de Khun Meak donnera naissance à Khun Yeap, autre future reine du Cambodge : jolie et jeune danseuse du ballet royal, elle sera la seconde et derniére épouse du roi Suramarit et la mère du prince Sirivudh, né en 1951. Le roi Norodom Sihanouk, né en 1922, est fils de la première épouse de Suramarit, la reine Kossamak.

Ayant donc eu ses grandes et petites entrées au Palais-Royal - son oncle était chef du protocole du palais et le choya,
Envoyé en France avec une bourse du gouvernement cambodgien pour faire des études d'électricité,
Ex-professeur de français à Phnom Penh (années 1956-1963),
Pol Pot n'avait même pas son certificat d'études et ne réussit aucun diplôme. L'homme qui le connaît le mieux, Ieng Sary ajoute même qu'en France il passa son temps à jouer au billard, à gratter la guitare et à courtiser les cercles marxistes.

De retour au Cambodge en 1953, il devient cousin du roi Sihanouk en épousant la soeur de l'épouse de Ieng Sary (1956).
Il prit le maquis dès 1963, voyagea et séjourna à Hanoi et en Chine.
Après avoir collaboré plus de dix ans avec le parti communiste vietnamien (grâce à Ieng Sary qui vivait alors à Hanoi), il élimina les Vietnamiens du parti communiste cambodgien avant de tenter de les éradiquer du pays.
En effet, entre temps et dès 1962, il avait été totalement subjugué par Mao Tse Tsoung qui lui avait accordé un accueil triomphal. (Le Vietnam s'était donné corps et âme aux Russes. Les Chinois, obnubilés par l"encerclement soviétique" avaient trouvé dans le petit Cambodge un moyen efficace, car peu coûteux et facile à manipuler, pour se protéger de l'expansionnisme soviétique. Les Chinois furent tout autant amis avec Pol Pot (jusqu'en 1993) qu'avec le roi Sihanouk. Tous deux leur doivent d'être encore en vie.)

La grande idée de Pol Pot, et sans doute la seule idée originale qu'il eût, était de faire plus vite et donc mieux que son idole et banquier, Mao. Donc le copier en tout mais faire plus vite et plus radical : passer au communisme brutalement, du jour au lendemain sans transition ni délai.
Il était donc nécessaire de supprimer sans état d'âme tous ceux qui étaient, auraient pu devenir ou redevenir, "réactionnaires". En termes simples cela donnait la mort pour tous ceux qui avaient été au contact des autres civilisations que la civilisation rizicole khmère et, pour faire bon poids, leurs enfants aussi, sauf s'ils n'avaient eu aucun contact avec leurs parents. Soit au moins un million, si ce n'est deux millions de personnes (lire l'étude démographique de Marek Sliwinsky : en quatre ans le pays perd 2.030.000 habitants dont plus de la moitié résidait dans le grand Phnom Penh, au moins 720.000 personnes ont été éxécutées).

A cette pensée sado-stalino-trotskysante, Pol Pot ajoutait un profond racisme qui le conduisit à prôner avec constance le nettoyage ethnique du Cambodge ("pour éliminer le Vietnam, pas besoin d'armes sophistiquées : il suffit que chaque homme du peuple ancien tue 10 vietnamiens de ses propres mains", répétait sa radio... En avril 1977, il ordonnait "les trois extirpations" : tous les Vietnamiens du Cambodge, tous les Khmers parlant vietnamien et tous les Khmers ayant des relations ou des intérêts avec les Vietnamiens).

Cette purification de la race condamnait les villes, concept étranger à l'âme khmère, et leurs habitants qui n'étaient pas (et ne sont toujours pas), à part les cyclo-pousses, des purs Khmers : ceux-ci, relégués par ceux-là, ne vivent que dans la rizière ou dans la forêt.

Comme le dit Chandler, Pol Pot était un petit bonhomme relevant de la psychiatrie qui accumula avec constance des décisions aberrantes. Il eut une opposition ; on lui compte au moins cinq purges, deux en 1976, deux en 1977, et une en 1978 (répression brutale dans l'est du Cambodge qui provoqua la fuite au Vietnam de Heng Sarim et de Hun Sen)

Mais pour l'Histoire, il restera un monstre qui entraîna derrière lui une cohorte de fidèles qui n'osèrent jamais le juger...
Certes il y eut une condamnation à mort par contumace en 1979, un emprisonnement à vie décidé par ses partisans en juillet 1997, mais cela relevait plus des bonnes manières ou de propagande que de la manière forte.
Jusque fin 1996, Pol Pot vivait plus souvent en Thaïlande que dans la jungle cambodgienne... Les affaires sont les affaires, et tant qu'il y aura du bois et des pierres précieuses à voler, Pol Pot sera protégé.