L'ancienne sculpture khmère

Jérôme ROUER,22/11/96, mai 97
Sources: ouvrages de George GROSLIER, J.BOISSELIER (Le Cambodge), Madeleine GITEAU


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Sources Artisans Principes Caractéristiques

Sujets connexes :

Les bronzes La statuaire post-angkorienne


"L'ancienne sculpture khmère fut un jardin de plantes innombrables, généreuses, arborescentes et prodigues de fleurs magnifiques. Mais le jardinier ne sut pas toujours les aérer, les soigner, sélectionner les semences. Il les coupa surtout sans méthode, trop souvent préoccupé de la richesse immédiate, de la lourdeur et de l'éclat des guirlandes trop nombreuses qu'il tressait avec plus de vanité que de discernement pour honorer ses dieux. Supposez les Egyptiens ou les Grecs ayant disposé de la main d'oeuvre sculpturale khmère : n'est il pas permis d'imaginer qu'ils eussent porté plus loin et plus haut encore les bornes de l'art humain ?" George GROSLIER, La sculpture khmère ancienne, 1925.

"Le Khmer était doué d'un exceptionnel génie plastique alliant un instinct infaillible pour la forme, une sûreté de goût admirable dans le décor, et une habileté manuelle hors pair" Bernard GROSLIER in La Revue Française, janvier 1968.


Les grandes étapes historiques

Période primitiveSculpture et architecture sur bois. Aucun exemple concret.
Période préclassiqueApports religieux et plastiques d'influence gréco-bouddhique et brahmanique. Ne subsistent que les réalisations en pierre.
Période classique ( à partir du VII ème jusqu'au XII ème siècle)Ne subsistent que les réalisations en pierre et quelques rares bronzes.
Période post angkorienneRetour au bois. Aucune oeuvre d'importance n'a résisté au climat et au temps.

Les domaines de la sculpture khmère

Deux grands domaines de production :

La sculpture décorative des temples : les bas-reliefs ( photo), la ronde bosse architecturale,
La statuaire ou ronde bosse, en pierre ou en bronze ou en métaux précieux.

En ronde bosse architecturale décorative les sujets se limitent à quatre animaux : le naga, le lion, l'éléphant et le taureau.
En statuaire pure, par opposition à sculpture décorative, dieux et personnages divinisés sont les seules représentations. Le personnage le plus représenté est, de très loin, le Bouddha. Après le XVI° siècle il sera le seul.

Principes de la sculpture khmère

Artisans et ouvriers

La sculpture fut l'art majeur de l'ancien peuple khmer et une véritable industrie : le millier de monuments et temples dispersés dans le pays, les innombrables palais et édifices civils en charpente et bois sculptés qui les accompagnaient exigeaient des cohortes de main d'oeuvre, forcément inexperte ou hâtivement formée : les artistes ou à tout le moins les ouvriers spécialisés n'étaient manifestement pas en nombre suffisant : beaucoup de temples s'offrent à nous "brut de construction", sans une décoration.
Aucune oeuvre n'est signée ou datée. Nous ne savons rien de la condition sociale, des salaires, de la hiérarchie, de l'organisation corporatiste des artistes khmers.
Sur les chantiers ils étaient répartis d'après leurs talents : aux plus habiles étaient réservées les façades principales et les cours ou la circulation était intense.
Ils étaient spécialisés à vie dans un type d'oeuvre, pilastre, chapiteau, frise : meilleure méthode pour assurer rapidité et qualité d'exécution....

Sources et inspirations

Les premières sculptures khmères sont de facture indienne, bouddhisme et brahmanisme étroitement mélangés à toutes époques. Même en pleine ferveur brahmanique des sanctuaires dédiés au Bouddha furent construits.
Sur le plan de l'iconographie, le bouddhisme eut l'influence la plus grande et la plus durable.
Mais, à la différence de l'Inde, les mélanges iconographiques entre Bouddhisme et Çivaïsme sont quasi permanents, les costumes et attributs diffèrent : les sculpteurs khmers bien que travaillant le Panthéon indien suivant les règles dictées par les religieux, ont laissés des représentations typiquement khmères de ces personnages.

La matière première

L'usage du grès, pierre fragile et terne, alors qu'il existe des schistes splendides se polissant comme le marbre, se généralise à partir du IX ème siècle. Auparavant la sculpture était sur bois ou sur brique.
La majorité des statues était en métaux, bronze et même or et argent.
Georges GROSLIER estimait que les statues en grès furent assez rares dans l'ancien Cambodge.

Caractéristiques esthétiques de la statuaire khmère ancienne

"Au Cambodge, le but du sculpteur anonyme n'est pas, comme chez nous, d'exprimer dans sa statue un concept personnel, une sensation, une idée nouvelle, ni, comme en Grèce, de représenter l'idéal du corps humain. La statue khmère est un symbole, une oeuvre exclusivement religieuse, une commande dont le thème est dicté. Elle occupe une place déterminée et immuable et n'est vue en général que dans un sens : de face. On l'orne de bijoux véritables, on la laque, on la peint et on la dore.".

Toute statue de grandeur humaine était une idole, peinte, laquée ou dorée, couverte d'ornements et de bijoux. Une stèle mentionne même "des voiles pour des divinités afin de les préserver des moustiques...".
L'idole était placée dans une cella, chambre carrée dépassant rarement 4 mètres sur 4. Cette cella était sombre car elle n'avait qu'une seule ouverture et était enfumée par les baguettes d'encens. Le visiteur n'avait aucun recul et ne voyait l'idole que de face alors que la faible lumière faible n'éclairait que ses parties inférieures. De telles conditions d'exposition épargnait au sculpteur toute recherche de détails qui de toutes façons n'auraient pas été vus.

Compte tenu du fait que les statues devaient être parées, le sculpteur ignore musculature et squelette : l'anatomie n'est pas son souci. Les jambes sont traitées grossièrement, toujours dans le plan du buste, souvent raccourcies et disproportionnées. Le torse est toujours nu.
La fantaisie de la coiffure est intarissable et ne manque jamais de grâce.

L'oeuvre est toujours soumise à règles, canons, rituels et traditions. Elle était jugée en fonction de son habillage, laque, dorure ou bijoux.

Les statues que nous voyons aujourd'hui ne sont que des substructures qui ne peuvent plus nous dire les riches matières qui les complétaient, le décor qui les parait selon des rites et des coutumes qui nous sont par ailleurs inconnus.

Les sculpteurs grecs présentaient leurs dieux comme ils l'entendaient et le sourire d'Egine ne fleurit pas indistinctement sur tous les marbres ni à toutes les époques. Ils donnèrent à leurs sujets des poses de leur choix et variées, tout en observant des coutumes, des canons et un traditionalisme indéniable. En d'autres mots, la beauté morale, religieuse et humaine de leurs oeuvres s'ajoute à leur beauté plastique. Si, de la sorte et à l'inverse du Khmer, ils disposaient de plus de moyens de s'exprimer, ils accumulaient d'autant les difficultés et les embûches et chaque exemple que nous tenons d'eux pose et résout un problème. Le sculpteur khmer ne paraît pas tant s'embarrasser, ne donne jamais l'impression de résoudre une donnée nouvelle, ni de rechercher un thème inexploité. Doit il fournir un Vishnu? Un regard dans le premier sanctuaire venu, et voilà la statue. Et plusieurs siècles durant il exécute un corps debout, cylindrique, la tête droite, les deux pieds joints et la face qui sourit...

La statuaire khmère nous a fourni, en tout et pour tout, sept poses dont six d'inspiration indienne, la pose debout, pieds et bras parallèles, représentant 90 % de la production retrouvée.

Le sourire khmer

Le sourire des têtes khmères de Bouddha les différencient des têtes indo-grecques, javanaises ou indiennes.
L'amateur éclairé conviendra cependant que ce sourire, indéniable en vue de face, devient souvent un rictus quand il est vu de côté ; car alors apparaissent des détails discordants qui n'ont pas été effacés par l'usure des pluies, surtout dans le dessin de paupières et des prunelles ...
L'appropriation actuelle des temples par le bouddhisme impose que l'on voit dans les visages construits sous Jayavarman VII, au Bayon notamment, une expression bouddhique de compassion et de bonté.
La réalité pourrait être bien différente :
Le roi, reprenant un royaume chancelant, affirma son autorité avec force, imposant la construction de dizaine de temples grandioses dont le rôle majeur était de montrer son omniprésence et sa puissance : les visages des tours regardent systèmatiquement les quatre points cardinaux ; personne ne peut échapper à la vigilance de ce regard de pierre... Il convient de filer doux, car il n'y aura pas de demi-mesures... Ces visages expriment une force tranquille qui voit et écoute tout, qui veille à ce que tous les faits et gestes des habitants soient conformes. L'Angkar aussi avait des "yeux d'ananas".