Les rois et la Maison Royale du Cambodge

Ci-dessus : les armoieries royales de Norodom Sihanouk.

SOURCE : Etat présent de la Maison Royale du Cambodge édité par l'Institut de la Maison Royale.
Jérôme ROUER, dec 96,mai, août 97


La royauté et les traditions royales sont le fondement culturel du Cambodge, pays engendré, dit la légende, grâce au mariage de la fille du chef des Naga (serpent mythique issu des eaux) avec le premier roi, Preah Thong.

L'histoire du Cambodge depuis 1435 se résume, malheureusement, dans les intrigues de succession : Tout rejeton, fût il le fruit incontrôlé d'amours ancillaires, se devait de tenter sa chance. La méthode habituellement pratiquée consistait à créer la zizanie, tenter l'assassinat ou à faire acte de vassalité avec l'un des puissants voisins siamois ou vietnamiens. Tous les moyens étaient bons pour devenir roi, quitte à régner sans royaume...

Grâce aux épigraphies des monuments d'Angkor les chercheurs français ont pu reconstituer, sans réelles certitudes, l'histoire royale du IX ème au début du XIV ème siècle. Un silence forcé couvre le siècles suivant. De grosses incertitudes couvre les autres époques et, aujourd'hui, il est convenu que seuls les descendants de Ang Eng (1774-1797) ont le droit au titre de prince...

1- PRINCIPES DE LA MONARCHIE ELECTIVE CAMBODGIENNE

a- La généalogie hiérarchique de la Maison Royale n'est pas linéaire comme en Occident. La succession par droit d'aînesse n'existe pas. Le roi est un membre élu de la Maison Royale.
Chaque nouveau règne crée une dynastie royale de filiation patrilinéaire.
Ces dynasties sont à leur tour segmentées en "clans maternels" moralement hiérarchisés entre eux en fonction de l'évaluation des mérites et du lignage des épouses des rois.
Chaque clan maternel se décompose en branches masculines correspondant aux divers enfants mâles du roi.

Le rang hiérarchique d'un prince dépend donc de la qualité de son ascendance paternelle et de l'origine sociale de son ascendance maternelle.

b- Depuis le roi Ang Eng, chaque roi a engendré, par ses enfants, une ou plusieurs dynasties qui totaliseraient plus de 20 000 personnes en vie, classées en princes de premier, deuxième et troisième rang. (Preah Ang Mchas, Neak Ang Mchas, Neak Ang Rajavong)
En 1994, les 67 princes titrés se répartissent ainsi : 2 de la dynastie ANG ENG, 12 de la dynastie NORODOM, 20 de la dynastie SISOWATH, 13 de la dynastie MONIVONG, 16 de la dynastie SIHANOUK, 4 de la dynastie SURAMARITH.

c- C'est parmi les sept princes de premier rang que le Conseil du Trône devrait choisir le successeur de Sihanouk dans les sept jours qui suivront son décès.
La
constitution de 1993 dit :
Article 13. Dans un délai de 7 jours au plus tard, le nouveau Roi du royaume du Cambodge est choisi par le conseil du trône. Les membres du conseil du trône sont :
- Le président de l'Assemblée Nationale,
- Le premier ministre,
- Les chefs des deux ordres religieux, Thammayut et Mohanikay,
- Les 1er et 2ème vice-présidents de l'Assemblée.
L'organisation et le fonctionnement du conseil du trône sont précisés par la loi.
Article 14. Doit être choisi comme Roi du royaume du Cambodge, un membre de la famille royale âgé d'au moins 30 ans et descendant du Roi Ang Duong, ou du Roi Norodom, ou du Roi Sisowath.

Les sept princes sont (les personnes ouvertement intéressées par le poste sont en caractère gras) :


2- SITUATION ACTUELLE (juillet 1997)

Actuellement la continuité de la monarchie est organisée par les articles 10 à 14 de la Constitution de 1993.
Le roi, Chef de l'Etat à vie, est élu par le Conseil du Trône composé du Président de l'Assemblée Nationale, de ses deux premiers vice-présidents, des deux premiers ministres, et des supérieurs des bonzes des ordres Thammayut et Mohanikay. (En 1996 : MM. Chea Sim, Loy Sim Chheang, Son Soubert, Norodom Ranariddh, Hun Sen, et les vénérables Bour Kry et Tep Vong. En août 1997 Chea Sim est Chef de l'Etat, Son Soubert s'est exilé, Ranarridh a été renversé...)

"Le roi règne mais ne gouverne pas" dit la Constitution de 1993. Il a un rôle d'arbitre et de père de la nation. Il est gardien des institutions et garant des libertés fondamentales.

NORODOM SIHANOUK, roi choisi par l'administration française en 1941, est, en 1997, âgé de 75 ans. Il souffre d'ennuis de santé qui l'oblige à suivre de fréquents traitements à l'étranger. Les événements de juillet 1997 semblent l'avoir convaincu de rester à Pékin.


2- CHRONOLOGIE de la MAISON ROYALE ACTUELLE.

Tableau simplifié des rois (en rouge) et reines (en bleu) par génération avec date de naissance:
1 2 3 4 5 6
ANG ENG
1774
ANG CHAN
1791
Ang Meï
1814
ANG DUONG
1796
NORODOM
1834
(Sutharot)
1872
SURAMARIT
1896
SIHANOUK
1922
SISOWATH
1840
MONIVONG
1876
Kossamak
1904, épouse de Suramarit
mère de Sihanouk

  1. ANG ENG 1774-1797, roi en 1794
    Fils du roi OUTEY II qui avait renoncé au trône au profit d'un candidat protégé des Siamois, Ang Non, Ang ENG fut élevé puis couronné à la cour de Bangkok. Installé à Oudong par les Siamois, il meurt à l'âge de 23 ans.
    Il eut trois épouses (Ut, Khé et Rat). Deux de ses enfants, de lits différents, régneront : Ang Chan, à l'origine de la dynastie numéro 2 et Ang Duong, à l'origine de la dynastie numéro 4.
  2. ANG CHAN III 1791-1835, roi de droit en 1797, roi officiel en 1806
    Fils de ANG ENG et de UT, âgé de 6 ans à la mort de son père.
    Il eut trois épouses et une de ses filles fut régente du Cambodge.
    Couronné à Bangkok, reconnu roi par l'Annam qu'après une déclaration de vassalité à la cour de Hué, Ang Chan restera sous tutelle siamoise pendant vingt ans. En conflit avec ses frères, il récupéra deux fois son trône avec l'appui des vietnamiens contre les Siamois.
    Il meurt à 43 ans sans laisser d'héritier direct (son fils Pukombo était décédé).
    Les Annamites, bien installés, tentèrent alors de s'emparer définitivement de tout le Cambodge en plaçant une fille de ANG CHAN, ANG MEY, sur le trône.
  3. Régence de la reine ANG MEY de 1835 à 1847, imposée par les Vietnamiens qui tentent une annexion pure et simple du Cambodge. La reine en perdra la raison.
    Elle n'eut pas de descendants.
  4. ANG DUONG1796-1860, roi en 1847
    Fils cadet de ANG ENG et donc demi-frère de ANG CHAN, candidat au trône accepté par les Vietnamiens et les Siamois qualifiés officiellement de "père et mère du royaume".
    Il s'efforcera d'intéresser les occidentaux au Cambodge et de contrôler l'organisation administrative du pays, se réservant le droit de nommer et révoquer les gouverneurs de provinces.
    Il eut trois épouses royales qui engendrérent la dynastie numéro 5 (NORODOM) et la dynastie numéro 6 (SISOWATH).
  5. NORODOM 1834-1904, couronné en 1864
    fils de ANG DUONG.
    Elevé à Bangkok qui le désigna roi en 1860.
    Grâce aux Français il fut couronné à Oudong en 1864.
    Il ne reconnut que quatre épouses royales dont l'une est à l'origine des dynasties 8 (SIHANOUK) et 9 (SURAMARIT).
    Signe l'accord de Protectorat, résiste aux réformes imposées par l'administration française.
    En 1890 la cour du roi compte quelques 7 500 personnes, dont 5 000 esclaves. Les fonctionnaires doivent acheter leur charge (fréquemment et aux enchères) et deviennent rien de plus qu'une source de revenu royal en or, en corvées ou en cadeaux. A tous les niveaux et en cascade, le pouvoir s'achète et fait payer ses administrés pour se rembourser au centuple. Faute de salaire, il faut faire rendre les charges au point que les autorités locales concluent des accords avec les bandits et percoivent des droits sur leurs activités! (Les français imposèrent une ordonnance en 1877 pour que les fonctionnaires percoivent un salaire : elle ne sera jamais appliquée)
    Bien que s'étant toujours réfugié dans un passéisme dommageable sur le plan économique, Norodom a contribué à sauvegarder l'indépendance de son pays et à empêcherune vietnamisation pourtant voulue par le colonisateur.
  6. SISOWATH 1840-1927, couronné en 1904
    demi-frère cadet du roi Norodom, fils de ANG DUONG.
    Fit une partie de son éducation à Bangkok, a lutté contre son frère Si Votha instigateur d'une rebellion contre les Français. Exilé à Bangkok puis à Saïgon.
    Il entretient une cour qu'il a ramené à quelques 800 personnes dont 546 employées en permanence.
    Il restera le symbole immobile de la tradition, garant de la validité de l'action protectrice.
    Il eut six épouses royales, dont l'une donna naissance à Monivong, dynastie numéro 7.
  7. MONIVONG 1876-1941, couronné en 1927
    14 éme enfant de SISOWATH et le plus âgé de ses fils survivants.
    Sort sous-lieutenant de l'Ecole d'Infanterie de Saint-Maixent, termina sa carrière militaire en tant que capitaine en Algérie, avant d'être rappelé à Phnom Penh par son père.
    Un temps considéré comme le moins qualifié à régner, il fut choisi car le plus susceptible de ressembler à Sisowath.
    Il eut dix épouses royales. La fille de sa première épouse, la princesse Kossamak, donnera naissance au futur roi Sihanouk et deviendra reine du Cambodge.
  8. SIHANOUK né en 1922, roi en 1941,il abdique en faveur de son père en 1955
    fils de SURAMARIT, petit-fils de Monivong. Il réunit les traditions dynastiques des Norodom et des Sisowath.
    Il eut six épouses.
  9. SURAMARIT 1896-1960, roi en 1955
    petit-fils de Norodom, fils d'un prince et d'une princesse Norodom, beau-fils de Monivong, époux de Kossamak, roi à 61 ans sur la demande de son fils SIHANOUK qui avait décidé d'abdiquer.
  10. Reine KOSSAMAK 1960-1975, petite-fille du roi SISOWATH et fille du roi Monivong, épouse de SURAMARIT auquel elle donnera SIHANOUK. Après la mort de son époux, le roi SURAMARIT, la couronne n'ayant pas été dévolue à un autre prince elle a assumé la fonction royale en étant présentée comme "gardienne du trône". Son fils SIHANOUK étant, de par sa propre volonté, Chef de l'Etat.
  11. SIHANOUK redevient roi, mais roi constitutionel, en 1993. Il réside ŕ Pékin depuis 1996.