La musique khmère.


TEXTE : Luc YNIESTA / Jérôme ROUER
Version : 31 novembre 1996

Voir aussi :

Photos d'instruments.
Le plus vieil instrument : le Ksé Diev
Points techniques
L'improvisation
Chants liturgiques
La musique Mohori
L'orchestre Pin Peat
Musique et funérailles
La musique de mariage
La musique d'exorcisme
Sources instrumentales


Moins expressive que la musique occidentale qui s'adresse à la sensibilité ou exprime des états d'âme, la musique khmère se veut symbolique et spirituelle.
Elle n'entend pas évoquer les sensations ou la sensualité, mais au contraire, se détacher de la forme et de la matière pour accéder à l'imaginaire, à la foi et aux esprits : sans musique il ne pourrait y avoir les prises de possession grâce auxquelles on peut entrer en contact avec les esprits et obtenir la fin d'une maladie ou d'une série de malheurs.

A - Sources musicales

Grâce aux inscriptions et aux bas-reliefs des temples des périodes pré-angkorienne et angkorienne, il est possible d'esquisser l'histoire de la musique khmère, fruit d'une véritable interaction culturelle : sur un vieux fonds môn-khmer d'origine austro-asiatique sont venus se greffer des apports indiens et chinois. Les échanges entre les autres pays de la péninsule indochinoise ont modelé une musique typiquement khmère par acculturation. Il ne faut point oublier que le royaume khmer couvrait toute la péninsule.

Les orchestres que l'on peut apprécier sur les bas-reliefs des monuments khmers marchaient en tête des défilés ou accompagnaient les danses rituelles de l'époque. Les musiciens avaient, à l'instar des danseuses, un statut particulier et faisaient souvent l'objet d'échanges et de dons de la part des grands seigneurs.

Le mot khmer pour musique, "phleng", est une dérivation du verbe "leng" qui signifie "jouer", "se distraire". Sémantiquement la musique est à la fois considérée comme un art revêtant un caractère rituel et sacré, mais également, comme un divertissement.

B- Fonction sociale de la musique

La musique accompagne le Cambodgien de son berceau jusqu'à son cercueil, ponctuant, comme une offrande aux dieux, tous le actes de sa vie. Le niveau sonore est élevé de manière à ce que voisins et passants ne puissent pas ne pas être informés et participent à l'évènement.

La musique et le chant sont en fait associés à tous les moments de transition, de "re-création" de l'ordre social ainsi qu'aux "rites de passage" où se remodèlent les unités et les contrats sociaux. Ainsi, après une journée de labeur, parents et voisins renouent leurs liens affectifs autour d'un orchestre improvisé. De même, la prise de froc, le mariage, la maladie et la mort, les invocations au surnaturel, les jeux et fêtes saisonnières, pour ne citer que les grandes circonstances, s'accompagnent de musique.

C- Répertoire et typologie

Le répertoire de la musique khmère est varié, même si les oreilles occidentales n'en distinguent que difficilement les nuances. Outre tous les morceaux traditionnels classiques qui correspondent chacun à un épisode précis de la vie, à une phase donnée d'une cérémonie, d'un événement..., il existe un grand nombre de musiques moins formelles traitant d'épopées historiques, de ballades sentimentales et de thèmes familiers.

Bien que ce soit toujours les mêmes instruments qui soient utilisés et que les morceaux s'inspirent des mêmes sources, Il faut distinguer la musique de cour, solennelle et religieuse, de celle des campagnes, moins formelle et plus impliquée dans le quotidien.

Pour ce qui est de la musique traditionnelle classique, il existe deux orchestres d'essence royale : le Pin Peat et le Mohori.

La musique des campagnes :

A la campagne règne une plus grande variété. Il existe maintes particularités régionales marquées, tout particulièrement en ce qui concerne les minorités ethniques.

Pour ne mentionner que les éléments les plus courants, à côtés des chants traditionnels de forme quasiment fixe (musique rituelle, berceuses et autres chants folkloriques), il existe une pléthore de chants alternés où règne l'improvisation. En effet, les textes n'étaient jamais notés. Il s'agit donc là d'un répertoire ouvert qui laisse place à un constant renouvellement.

La musique moderne :

A partir des années 1920 s'opéra une renaissance musicale et instrumentale, une explosion brisant les limites naguère imposées, favorable à l'émergence de talents individuels. Ceci fut rendu possible grâce au développement de la musique privée à titre de divertissement. De nouveaux styles apparurent ainsi, s'inspirant de la musique Mohori de Cour, de spécificités régionales et d'emprunts étrangers. Ces derniers valaient tant pour les sources d'inspiration que pour les instruments, notamment à cordes (banjo, mandoline, violon...), plus abordables pour les familles modestes.

Par contre, les chants restaient figés en vertu des canons antérieurs et les chanteurs professionnels étaient regardés d'un oeil sévère par la société. Cette situation évolua sensiblement au cours des années 1950. Emerge alors, parmi les étudiants instruits, conscients de leurs dons et sensibles à leur culture, une génération de chanteurs talentueux. Ne se laissant guère ébranler par les tabous sociaux, ils réussirent à s'imposer. Parmi les plus populaires, il convient de citer Peou Sipho, Sisowath Kulachad et, surtout, Sin Sisamut, qui, vingt ans après son décès dans une prison khmère rouge, reste l'un des chanteurs les plus appréciés au Cambodge.

Comme tous les autres pans de la culture khmère, ces évolutions connurent un brusque frein lors de la guerre civile (1970-1975) et la musique connut une déperdition totale sous le régime des Khmers Rouges (avril 1975-janvier 1979). Ces derniers s'évertuèrent à éliminer physiquement les chanteurs, musiciens, artisans spécialisés dans la fabrication des instruments de musique. Ils détruisirent également les instruments eux-mêmes ainsi que tout document relatif à la musique. Enfin, furent bannis les fêtes et cérémonies traditionnelles ou les actes de la vie quotidienne auxquels la musique était associée au profit de chants révolutionnaires.

A l'heure actuelle, la musique reprend sa place dans la société cambodgienne, mais, faute de disposer de suffisamment d'instruments et de professionnels, c'est souvent sous des formes appauvries. Le plus souvent, elle se fait entendre par le biais de mégaphones hurlants diffusant des enregistrements sur bandes magnétiques de mauvaise qualité. La musique traditionnelle reste toutefois bien implantée et résiste bien face aux influences occidentales. la jeunesse reste fort attachée aux danses et chants traditionnels, pratiqués quotidiennement jusque dans les discothèques.

D- Technique

La tradition musicale khmère est orale, de maître à élève. Or, avec la disparition de ces maîtres, l'expression musicale khmère, et donc, l'âme du peuple cambodgien, sont menacées de disparaître si des mesures adéquates ne sont pas mises en oeuvre.

Du point de vue technique, la musique khmère se caractérise par la nette prédominance du pentatonisme.

Improvisations, variations et ornementations sur un thème de base, sont les caractéristiques essentielles de cette musique qui autorise les personnalisations de morceaux connus de tous.

Les musiciens traditionnels n'utilisent pas la notation musicale et n'ont pas une connaissance exacte de la hauteur du son par rapport au diapason qu'ils ignorent : leurs instruments sont accordés au jugé, à l'oreille. Les instruments à vent sont accordés pendant leur fabrication. De ce fait, c'est à partir d'eux que sont réglés les instruments de l'orchestre.
Cependant, c'est justement cette imprécision de l'accord et les intervalles non exactement mesurés entre les notes de la gamme qui constituent un caractère fondamental de la musique khmère.

L'orchestre est formé d'un ou plusieurs tambours de terre, d'un violon bicorde ( le tro ), d'une sorte de guitare à long manche recourbé( le capei, ) et de trois types de flutes.